mardi 30 septembre 2014

Robots, vos papiers !

Arrêtes, ou tu finiras en prison, robot!
Faut-il des lois spécifiques pour les robots ? Cette question au goût asimovien n’est pas une lubie. Le développement attendu des robots et autres produits « robotisés » - la voiture sans chauffeur, les drones, par exemple - amène à se poser très sérieusement la question.

L’UE a déjà commencé à le faire. Robolaw un projet de recherche qui vient de s’achever a ainsi étudié si l’état actuel de la législation est adapté à l’émergence et la prolifération attendue de robots et s’est interrogé sur les problèmes éthiques posés par ces nouveaux venus.

Aujourd’hui c’est le tour des américains de s’y coller. C’est un article publié par Brookings qui veut lancer le débat. Ryan Calo de l’University of Washington School of Law, pose la question : « Faut-il créer aux Etats-Unis une Commission Fédérale de la Robotique ? »

Ryan Calo fait valoir que chaque nouvelle technologie (le rail, la radio, les télécoms…) a vu se créer un agence fédérale pour mettre au point des législations ad hoc. Et il juge que la robotique est bien susceptible de poser de nouveaux problèmes légaux. Typiquement : qui sera responsable si une voiture sans chauffeur créé un accident, blesse ou tue ? Le chauffeur ? Il n’y en a pas. Ce sera le constructeur ?  Celui qui a écrit le logiciel ? Le propriétaire ?

Une myriade de questions se posera à mesure que les « robots » apparaîtront. Et vu les risques physiques encourus, il sera plus difficile de mettre le problème sous le tapis, comme on l’a fait avec le logiciel. On sait que quelque erreur que fasse votre logiciel et quelles qu’en soient les conséquences, celui qui l’a écrit ne peut être tenu pour responsable… Pratique !

Certes, on a le temps de voir avant que les voitures autonomes ne bouchonnent sur les autoroutes. Mais plus près de nous, la question se pose déjà avec l’arrivée de robots industriels « collaboratifs ». On veut les voir travailler au contact de l’homme. Que se passera-t-il si quelqu'un est blessé par un robot devenu "fou"? Qui sera responsable ? La question ne se posait pas jusque-là : la loi impose actuellement que les robots industriels soient enfermés dans des cages afin de protéger les ouvriers.

Dans son argumentaire en faveur d’une Commission fédérale, Ryan Calo fait valoir que le problème est complexe et que pour légiférer à bon escient il est nécessaire de réunir, au-delà des spécialistes du droit, des ingénieurs en informatique et des spécialistes des interfaces homme-machine afin de bien prendre en compte tous les aspects de la problématique.

Pour appuyer sa thèse Calo cite l’erreur commise par l’Etat du Nevada. Il avait légiféré en 2011 à propos des voitures sans chauffeur. La loi définissait un véhicule autonome en se référant à « tout remplacement de  l’opérateur humain par de l’intelligence artificielle ». Du coup, de nombreux véhicules « normaux », comme ceux dotés de systèmes anticollision ou d’ABS tombaient sur le coup de cette loi restrictive. Elle a été retirée. Caramba ! Encore raté.

A lire
L’article de Ryan Calo 

mardi 2 septembre 2014

Quel est (vraiment) l’impact de l’automatisation sur l’emploi ?

Je vous le dis : "l'automatisation tue l'emploi"
Une idée fait son chemin : les progrès fulgurants de l’informatique s’apprêtent à rendre les ordinateurs si intelligents qu’une myriade d’activités intellectuelles va désormais pouvoir être automatisée. Conséquence : un chômage de masse et, peut-être même… la fin du travail ! Bref, c’est le come-back d’un vieux serpent de mer : l’automatisation tue l’emploi.

Andrew Mac Afee et Eric Brynjolfsson en particulier ont participé à  populariser ce point de vue avec leurs livres Race against the machine puis The Second Machine Age.

Est-ce si simple ? David H. Autor, directeur adjoint du département économie du MIT ne le pense pas et le démontre brillamment dans un récent et pertinent article. Il relativise fortement la portée de la thèse de Mac Afee-Brynjolfsson et jette un regard très différent sur l’impact de l’automatisation sur les emplois.  

Autor s’appuie sur deux puissantes idée. La première, exprimée par  penseur hongrois Michael Polanyi en 1966, tient au constat  que « nous connaissons plus que nous ne pouvons dire ». Autrement dit que nous possédons une  « connaissance tacite » accessible à n’importe qui et qui ne peut être codifiée ni formalisée. Nous marchons, nous reconnaissons des objets, des gens, nous avons du « bon sens » et savons faire nombre de choses sans que cette connaissance ne soit le moins du monde formalisée. Et comme elle ne peut être ni formalisée, ni codifiée ces actes très banals sont quasi impossible à programmer et donc à automatiser. 

Vous me direz que c’est précisément le but du « machine learning ». Cette technique vise à donner une capacité d’apprentissage aux ordinateurs pour leur permettre de traiter ce qui n’est pas réductible à un algorithme. Mais, ici, Autor diffère complètement des auteurs de Race Against The Machine. Il se range dans le camp de ceux qui pensent que cette technologie ne parviendra pas à des progrès très significatifs. Pas assez significatifs en tout cas pour rivaliser avec la « connaissance tacite » du premier venu.

Qui a raison, qui a tort ? Personnellement je suis du côté d’Autor, mais tout cela n’est qu’une question de point de vue philosophique…

Il y a beaucoup plus dans le papier d’Autor. Il met en lumière un aspect de l’automatisation au sens large - automatisation par des machines aussi bien qu’informatisation – qui échappe le plus souvent aux penseurs et aux commentateurs. Cela le conduit à expliquer le phénomène que l’on constate actuellement en matière d’emploi : la croissance simultanée des postes à haut salaires et haute qualification et de ceux à bas salaires et faible qualification au détriment des autres.

En général explique Autor, on pense l’automatisation comme substitution au travail humain. On oublie son aspect le plus important : elle est aussi complémentaire à ce travail. Dans ce cas, la machine ou l’ordinateur épaule l’individu et lui permet d’en faire plus, ou mieux, ou plus vite. Elle ne supprime pas les emplois, elle les dope ! « De tout temps, les penseurs surestiment la capacité de remplacement de l’homme par les machines et sous estiment leur formidable capacité à enrichir son travail » affirme Autor.

Fort de ces idées, il analyse le marché du travail. Il constate que d’un côté se trouvent des gens très qualifiés et très bien payés dont l’activité, complexe, créative et qui réclame des connaissances pointues ne peut être automatisée. Non seulement ils ne sont pas menacés par les machines mais ils profitent à plein de leur complémentarité pour booster leur efficacité. Il n’est donc  guère étonnant de voir que ces emplois croissent.

Plus étonnante est la croissance des emplois peu payés et peu qualifiés. Sauf à l’analyser au prisme d’Autor. Ces emplois sont en croissance car ils sont basés sur la « connaissance tacite », donc pas automatisables. La machine ne les menace donc pas. Mais, elle ne les épaule pas non plus. Cela, joint à l’abondance de main d’œuvre, explique la croissance de ce type d’emploi mais aussi la baisse des leurs salaires.

Reste, entre le deux, les emplois qui disparaissent : les nombreuses tâches intermédiaires de routine, répétitives qui, elles, se prêtent bien à l’automatisation du premier type : le remplacement pur et simple du travailleur par la machine. CQFD. Autor, toutefois, n’est pas persuadé de la fin, à terme de ces jobs intermédiaires. Il pense que nombre d’entre eux perdureront à condition de mêler une part de tâches routinières avec un ensemble de tâche plus évoluées pour lesquelles l’individu possède un avantage comparatif – interactions personnelles, flexibilité, adaptabilité, capacité à résoudre des problèmes…

Bref, Autor, s’il reconnaît que le marché du travail est aujourd’hui perturbé par l’automatisation, pense, qu'à terme elle finira par créer plus d’emploi qu’elle n’en aura détruit. Comme cela a toujours été le cas avec toutes les phases de la longue histoire de l’automatisation. Le serpent de mer a toujours fini par s’évanouir dans le bas-fonds.

A lire
 L’article de David Autor : " Polanyi’s Paradox and the Shape of Employment Growth"