mardi 31 janvier 2012

Les brits veulent ressusciter le Crystal Palace !

Le Crystal Palace en 1851, apogée de l'industrie britannique
Hier, David Cameron, le premier ministre britannique, a été le 287è membre du parlement à faire connaître l’entreprise élue de son cœur :  la société JSP Hard Hats, fabricant d’équipement de protection individuelle. Parmi les qualités qui lui ont fait choisir l’entreprise de l’Oxfordshire : elle exporte dans 90 pays.

Ce choix de David Cameron s’inscrit dans l’initiative « Made by Britain » (et non made in Britain, subtil distinguo), lancée  en juillet 2011 par  le Parlement (l’Associate Parliamentary Manufacturing Group pour être précis) et la  1851 Royal Commission .  Dans ce cadre, chaque parlementaire (MP) a pour mission de désigner  un industriel exemplaire de sa circonscription.

Le but, outre la promotion de l’industrie britannique, est de  « nouer des liens entre les industriels et les politiques pour conduire à une meilleure compréhension mutuelle. » L’idée n’est pas sotte.

Les promoteurs de Made by Britain, ont une autre idée en tête.  Réaliser un « Crystal Palace virtuel », autrement dit une exposition virtuelle des 650 entreprises choisies par autant de MP, lorsque l’opération sera arrivée à son terme. L’objectif est que ce Crystal Palace virtuel  soit prêt pour le jubilée de la reine Elisabeth qui fêtera ses 60 ans (de règne !) en 2012.

Pour mémoire, le Crystal Palace est le fabuleux bâtiment tout en fer et verre qui, en 1851, avait abrité l’exposition industrielle qui marqua l’apogée de la toute puissante industrie britannique.

On se gardera d’ironiser sur le fait que, en fait de virtuel, c’est toute l’industrie britannique qui mérite ce qualificatif. Elle est en effet parfois capable de nous surprendre. Par exemple, bien que l’UK ne possède quasiment plus aucun constructeur automobile significatif, la production de voitures sur son territoire est  plutôt en bonne forme. 

Rien qu’en 2011, BMW a annoncé des investissements de  500 M£ pour les trois ans à venir et confirmé que la prochaine Mini sera produite en Angleterre. Nissan injecte pour sa part 420M£ dans son usine du Sunderland pour produire la Nissan Leaf 100% electrique en 2013. Et Tata Motors, propriétaire de Jaguar Land Rover investit 355M£ sur son site des Midlands.

Comme quoi il est possible de conserver les usines et les emplois alors même qu’on ne possède plus d’entreprises.  L'industrie automobile française fait (presque) l'opposé. Mais il est vrai qu'on ne roule pas du même côté de la route...

lundi 30 janvier 2012

H&M : it's innovation, stupid !


Les partenariats renforcent l'image de H&M
Il est admis que l’une des causes des malheurs de l’industrie française est liée à son positionnement sur le milieu de gamme. Le mot d’ordre est donc : « il faut se repositionner sur le haut de gamme !» A priori, on comprend ce que cela signifie. Le formidable succès des vêtements H&M permet de jeter un peu de lumière sur  cette problématique de la compétitivité, plus subtile qu'il n'y paraît.

La raison clé du succès d’H&M tient à son positionnement original. L’entreprise fabrique en Chine (tant pis pour la réindustrialisation…) comme la plupart de ses concurrents. Ses produits sont d’une qualité moyenne, côté tissu. Mais ils sont nettement moins chers que la moyenne des autres vêtements de qualité similaire produits  dans les mêmes conditions. Surtout, contrairement à tous les autres, les vêtements d’H&M sont « à la mode », ils sont « chics », stylés, bien designés, bien coupés. D’une certaine façon, ils sont « luxueux ».  On a envie, fille ou garçon, de les porter. Et, surtout, quand on est jeune, on peut se les payer. Bingo !

H&M a fait des « coups ». Depuis 2004, il confie régulièrement le design d’une ligne de vêtements (vendue en nombre limité) à des très grands noms de la haute couture : Karl Lagerfeld, Stella Mc Cartney, Lanvin, Jimmy Choo (pour les chaussures)… On se les arrache. Mais ces événements marketing (aujourd’hui largement imités) ne sont pas seulement des coups. Ils ne font qu’asseoir son statut bien réel de vendeur de produits de style et renforcer une image qui n’est pas indue.

Alors H&M, c’est du haut de gamme ou du milieu gamme ? D’aucuns appellent cela « masstige », mot affreux, contraction de « mass market » et « prestige ». La réponse est plutôt : it’s innovation, stupid ! L’innovation, c’est à dire une offre de produits qui se distinguent de ceux de la concurrence. Une offre de produits désirables.

Face à cela, que propose la concurrence ? Grosso modo :

- Des vêtements de luxe, de marque, de très haute qualité, très chers, qui sont fabriqués en France ou en Europe. Dior, Hermès… Du vrai haut de gamme, et qui se vend très bien.
- Des vêtements bas ou moyenne gamme, de qualité médiocre ou très médiocre, mal coupés, d’un look désespérant, made in pays-à-bas-coût,  et souvent plus chers que ceux d’H&M qui, finement, ne cherche pas à maximiser ses profits. Il offre un excellent rapport qualité/prix.
- Et il y a le pire, illustré jusqu’à la caricature par le couturier Galliano (une partie de sa collection propre, pas ce qu’il faisait chez Dior) : des vêtements de marque, stylés, mais fabriqués en Chine, d’une très médiocre qualité, et vendus  très cher, presque aussi chers que les vêtements de luxe. Beaucoup trop cher pour ce qu’ils sont en tout cas. Le profit est maximal… pendant le temps que ça dure.

Maintenant, rappelez-vous que H&M est suédois. A quoi vous fait penser sa stratégie ? Pour moi, cela ne fait pas de doute : à l’autre grande réussite suédoise, Ikéa. Le fabricant de meubles a été le premier à jouer cette carte du design et de la qualité pour des produits à bas prix.  Et ça paie.

Exercice pour la semaine prochaine : en regard de ces réflexions, que faire de Lejaby ?

vendredi 27 janvier 2012

Fabrique de l'Industrie, suite...

Hier, je rendais brièvement compte de la première manifestation de La Fabrique de l’Industrie, le think tank français de l’industrie. J’insistais sur les points de consensus apparus lors du débat sur la désindustrialisation/réindustrialisation auquel participaient Patrick Artus (Natixis), Jean-Michel Charpin (ex Insee) et Christel Bories (Constellium)

Voici, aujourd’hui, pour compléter, deux sujets de débat qui ont fait surface.

Faut-il encore rêver d’ETI ?

Patrick Artus ne pouvait omettre de revenir sur ce qu’il a qualifié de phénomène « spectaculaire » et « spécifiquement français » : l’étonnante disparition des grosses PME. Elles ne sont pas perdues pour tout le monde : « chaque année 17% des PME de 250 à 500 personnes sont absorbées par des grands groupes. » C’est cinq fois plus que partout ailleurs en Europe !

La PME ne deviendra pas grande...
Il ajoute que le drame est que celles qui sont avalées par ce trou noir sont « les plus dynamiques et les plus exportatrices. » Celles qui restent ne sont donc pas les plus performantes…

A ce propos, et à mon grand dam, personne, et c’était encore le cas à La Fabrique, n’arrive à diagnostiquer réellement les causes de cette lancinante exception française qui veut qu’on ne voie jamais grossir les PMI. On en est réduit à lancer des incantations sans fin dans l’espoir de voir un jour fleurir ces ETI (entreprises de taille intermédiaire) que l’on envie tant aux allemands.

Doit-on alors se résoudre à ce que suggérait alors Jean-Michel Charpin ? Il dit : « Nous avons en France des grands groupes très performants. Nous ne manquons pas de start-up de qualité. Finalement, est-il vraiment indispensable de se doter de telles ETI ? On peut se demander si, plutôt que de chercher à combler notre point faible, il ne serait pas préférable de renforcer nos atouts… » La question est iconoclaste, mais il n’est pas inutile de se la poser sérieusement et d’entamer le débat. Peut-être finira-t-on par mieux comprendre ce qui se passe…

Dans ce contexte, on notera que Louis Gallois, intervenant un peu plus tard à propos des relations donneurs d’ordres/sous traitants, apportait à sa façon sa contribution au débat. Le pdg d’EADS (donc le successeur, Tom Enders, estr désormais connu) se félicitait en effet d’avoir œuvré en faveur du rapprochement de deux de ses sous-traitants, Mecachrome et Mecahers. L’acquisition du second par le premier, finalisée au début du mois, a créé une entité de plus de 250 M€ de chiffre d’affaires pour environ 1800 collaborateurs. Une  belle grosse PME. Une future ETI ? Elle a toutes ses chances. EADS n’a pas l’intention de la racheter…

 Fiscalité : qui aider ? 

Autre sujet de débat, la fiscalité. Patrick Artus rappelle que « depuis 2000, la France a choisi de favoriser les emplois non délocalisables. »  Ce qui s’est traduit par une fiscalité propre à soutenir des emplois peu qualifiés, dans des secteurs abrités du service : distribution, artisanat, restauration…

La question que se posent Artus et Charpin. Est-ce que ces aides se sont faites au détriment de l’industrie ? Faut-il alors les supprimer pour favoriser cette dernière ?

Ils pensent qu’il faut « réorienter cette politique » mais sans avancer de réponse définitive. Artus est certes d’avis qu’il faut revenir sur la TVA réduite dans la restauration et le bâtiment, mais tous deux soulignent également que toutes les aides pour les bas salaires ont porté leurs fruits, créé de nombreux emplois et qu’il serait dangereux d’y mettre fin abruptement.

Bref, il n’y a pas encore de réponse claire et précise en la matière. Autrement dit, le débat est largement ouvert.

jeudi 26 janvier 2012

Bon départ pour La Fabrique de l'Industrie


Louis Gallois présente La Fabrique
Hier soir La Fabrique de l’Industrie organisait son premier événement à Paris. Pour ceux qui l’ignorent, la Fabrique est le laboratoire d’idée pour l’industrie, crée par l’UIMM, le GFI  et le Cercle de l’Industrie. Président : le très respecté Louis Gallois (pdg d’EADS pour quelques mois encore). Budget : environ 900 k€. Mission : promouvoir l’industrie en alimentant le débat autour des problématiques industrielles.

« Nous ne sommes pas un lobby se défend Louis Gallois, mais nous pensons que l’industrie est essentielle pour la croissance et qu’après des années d’effritement la France peut redevenir une puissance industrielle. Nous espérons apporter notre pierre à l’édifice via les études que nous allons mener et l’information que nous diffuserons sur ce qui se passe en France et en Europe. »

Première pierre à cet édifice, la conférence d’hier donc, autour du livre de Patrick Artus (directeur des études de Natixis) et de Marie-Paule Virard  : La France sans ses usines . Autres intervenants : Jean Michel Charpin (économiste qui a notamment été dg de l’Insee) et Christel Bories (patronne de Constellium jusqu’à novembre dernier).

Il faut avouer que ce premier événement a été à la hauteur de l’enjeu. Le débat a été d’une rare qualité grâce à l’absence de langue de bois des intervenants et grâce aussi à un auditoire de qualité avec notamment des interventions de Louis Gallois ou Patrick Pelata (ex n°2 de Renault Nissan).  

Pour faire court, et tant pis pour la variété des sujets abordés, on retiendra deux points qui, outre le constat du terrible décrochage industriel de la France depuis 1998, ont fait l’objet d’un consensus total.

1.      Le problème de perte de compétitivité des entreprises françaises est lié à leur stagnation sur le milieu de gamme. Cela était sans grandes conséquences tant que les pays émergents ne se manifestaient pas. C’est devenu dramatique après (soit vers 1998). Résultat, tout le monde s’accordait hier pour dire qu’il est indispensable que l’industrie française « monte en gamme ». Le terme, assez flou au demeurant, signifiant au bout du compte qu’il faut être capable de créer des produits qui se distinguent du tout venant et peuvent donc se vendre plus cher, assurant par là des marges plus larges. Brefs des produits haut de gamme au sens du luxe, ou, plus largement, des produits réellement innovants. C'est peut-être pas un scoop, mais c'est difficile à nier.

2.      Au delà de la batterie de mesures qu’il faut prendre pour assurer à long terme (dizaine d’années) le redéploiement de l’industrie hexagonale,  des mesures à impact plus rapide – deux ou trois ans - s’imposent. Et là pas de fausse note : tout le monde pointe comme un seul homme la diminution du coût de travail. Fort heureusement ce n'est pas dans le but d'abaisser les prix, mais pour permettre aux entreprises de restaurer leurs marges. Pour briser le cercle vicieux qui fait que le positionnement sur le milieu de gamme a engendré une perte de compétitivité qui a ensuite érodé les marges et que, ce faisant, les entreprises ne peuvent plus investir pour se positionner dans le si désiré haut de gamme, objet de tous les vœux.

Il est intéressant de noter est que les intervenants ont tous jugé que la meilleure façon d’abaisser le coût du travail – « d’au moins 30 à 40 milliards d’euros pour assurer un indispensable ‘choc de compétitivité’ » dit Louis Gallois – consiste à augmenter la CSG « d’environ 5 points » estime Patrick Artus . L’intérêt étant d’alléger le coût du travail en faisant participer à l’effort « les vieux et les riches ». Personne en revanche ne souhaite une augmentation de la TVA qui a le défaut d'épargner les riches et, en plus, risque à terme de « conduire à augmenter les salaires pour compenser la perte de pouvoir d'achat dont à annuler l’effet voulu.»


Pas mal d'autres sujets dignes d'intérêt ont été abordés, et quelques sujets de débat se sont fait jour. On en reparlera bientôt ici, et pas plus tard que demain...

mercredi 25 janvier 2012

Apple, ou pourquoi la production US est pliée


Assemblage des iPhone en Chine chez Foxconn
Super enquête à la Une de l’International Herald Tribune (IHT) du lundi 23 janvier. Et, d’une certaine façon, super douche froide pour les avocats de la réindustrialisation.  Elle dissèque le cas d’Apple. « L’iPhone est un cas d’école et Apple illustre pourquoi la Chine devient l’usine du monde » dit l’article qui  arrive à une triste conclusion : il n'y a vraiment plus aucune chance que la fabrication de produits électroniques s'effectue aux US.

Le pourquoi ne tient pas, pas directement en tout cas, aux faibles coûts de main d’œuvre car la production des iPad et autres iPhones est très automatisée. « Il en coûterait environs 65 $ de plus pour fabriquer l’iPhone aux US, ce qui serait  supportable compte tenu des marges d’Apple » souligne l’article.

Le problème est bien plus profond. Les US n’ont tout simplement plus la capacité à fabriquer de tels produits localement. L’IHT cite Tim Cook, CEO d’Apple : « Les usines asiatiques peuvent ajuster extrêmement vite leur production à la hausse ou à la baisse » et « les supply chains asiatiques ont largement dépassé en performances celles des Etats-Unis » au point que « nous ne sommes désormais plus compétitifs ».

Il faut dire que la sous-traitance généralisée des produits électroniques a donné naissance à des géants comme Foxconn Technology qui assemble quelque 40% des produits électroniques mondiaux. Le site qui assemble les iPhone en Chine, Foxconn City, « compte 230 000 employés, travaillant six jours par semaine, parfois 12 heures par jour. Plus du quart de ces employés vit dans de dortoirs aménagés sur le site et beaucoup ne gagnent pas plus de 17 $ par jour ».

Mieux, ou pire,  encore. La grande force de ces sites est la capacité à « mobiliser », au sens militaire du terme, des armées d’employés en fonction des besoins. « Ils peuvent embaucher 3000 personnes en une journée » dit l’ex responsable supply demand d’Apple, citée par l’IHT. Ils peuvent mobiliser, même en pleine nuit des milliers d’employés, comme cela s’est passé quand il a fallu répondre en extrême urgence à une modification demandée par Apple à la veille du lancement de son iPhone. De même, il n’aura fallu que quinze jour pour embaucher les 8700 ingénieurs de production nécessaires à la coordination des 200000 travailleurs produisant l’iPhone. Les analystes américains avaient prévu qu’il aurait fallu neuf mois pour le faire aux US !

Ajoutez à cette extrême flexibilité  le manque dramatique de compétences d’ingénieurs de production aux Etats-Unis et il devient clair que la production de produits électroniques aux US est définitivement pliée. Dommage pour l’emploi américain. Apple emploie 43000 personnes aux Etats-Unis alors que la production de tous ses produits occupe… plus de 700000 personnes en Asie !

Bref,  « l’expertise d’Apple est aux USA, mais les jobs [sans jeu de mots…] sont pour les chinois. » Cela dit, vu les conditions de travail on ne sait pas si on doit les envier ou les plaindre…

 Les plus optimistes pensent que, au bout du compte, cela n’est pas si grave et que la high tech américaine sera sauvée par l’innovation et, surtout,  par le logiciel. Il y a probablement du vrai dans ce point de vue et le cas d’Apple en témoigne. Mais le papier de l’IHT tempère cet optimisme. La multiplication par dix de la production d’une iPhone s’accompagne grosso modo d’une augmentation proportionnelle des emplois en usine, mais  « passer de 1 million à 30 millions d’iPhone ne change quasiment rien au nombre de développeurs d’Apple » (même si, dans le bilan, l’IHT omet d’ y ajouter les milliers de développeurs d’Apps qui ont fleuri avec cet appareil).  
Alors, grave, un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout,  cette désindustrialisation patente ? Les US peuvent-ils rebondir et prendre la Chine à contrepied ? Je dois avouer que mon opinion sur la question n’est pas tranchée, l’apôtre de l’industrialisation qui est en moi le disputant au fervent adepte des vertus de l’innovation technologique. C’est en tout cas un beau sujet de réflexion.
Vous pouvez lire, en anglais, le long article de l'IHT ici

mardi 24 janvier 2012

Réindustrialisation de droite, réindustrialisation de gauche

Patrick Artus, Natixis
 « Pratiquement tous les pays de l’OCDE veulent se réindustrialiser ou veulent conserver une industrie de grande taille » écrivait Patrick Artus, directeur de la Recherche et des Études de Natixis, dans la lettre Flash de Natixis en juillet dernier.

Entre nous soit dit, cette volonté commune risque de ne pas simplifier la tâche. Je veux dire : il aura été beaucoup plus facile à l’Allemagne de jouer avec succès  la carte de l’industrie quand elle était à peu près seule à le faire en Europe, qu’il ne le sera aux nouveaux prétendants. Ils risquent de se bousculer au portillon…

Cela dit, Patrick Artus ajoutait : 
« Il nous semble que le «vrai débat droite gauche» va porter sur la nature des politiques de réindustrialisation : à droite, des politiques économiques visant à mettre en place un environnement favorable (ou supposé tel) à la réindustrialisation : fiscalité, règles du marché du travail, poids de l’Etat et de l’emploi public, taux de change ; à gauche, des politiques interventionnistes étatiques : financement d’infrastructures, de projets industriels, soutien des entreprises innovantes… »
 C’est en effet classique. Mais on peut mettre un bémol à cette analyse très tranchée. D’abord, la France de droite n’a jamais hésité à mener une politique interventionniste, même si, depuis De Gaulle, elle ne l’a jamais poussée à son terme ultime (autrement dit, il y a beau temps que l’état n’a pas défini de « politique industrielle », ce que beaucoup, de droite comme de gauche, réclament).

Ensuite, il est frappant de constater que la très conservatrice Angleterre de Cameron n’hésite pas elle aussi à jouer l’interventionnisme. Au micro de France Culture jeudi dernier, Jean-Claude Sergeant (professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle Paris 3), rappelait qu’en novembre 2011 lors de l’Autumn Statement (préparation du budget de mars prochain) avaient été prévues par le Chancelier de l’échiquier différentes mesures pour un rééquilibrage de l’économie en faveur de l’industrie manufacturière :  un fonds de 30 milliards de livres pour des projets d’infrastructures (notamment une ligne de train à haute vitesse entre Londres et Birmingham) et l’injection de quelque 20 milliards de liquidités auprès des banques avec mission pour elles de les transférer auprès des PME. Ce n’est pas du libéralisme pur jus me semble-t-il…

L’urgence de la situation de compétitivité joue peut-être un rôle d’édulcorant des idéologies. J’en veux pour preuve que, sur certains diagnostics quant aux moyens de restaurer la compétitivité de la France, on arrive à voir une mesure telle que la baisse du coût du travail être soutenue à la fois par le Medef et… par François Chérèque, le responsable de la CFDT précisant évidemment que « baisse du coût du travail » ne signifie pas « baisse de salaire », mais transfert des charges sociales vers d’autres instruments, comme la CSG (mais pas la TVA sociale).

Assistons-nous aux prémisses d’une « politique de réindustrialisation du centre » ? Il faudrait demander à François Bayrou ce qu’il en pense…

lundi 23 janvier 2012

Robotique et PME : le ROI est mort

Au Cetim : un "modèle économique
 élargi" à l'usage des PME
 Le Cetim a eu une excellente initiative. Le Centre technique des  industries mécaniques est convaincu, de même que le Symop (voir post du 18 janvier), que la robotique est la carte à jouer pour la survie des PME de mécanique. Mais il est également clairvoyant. Il sait que le calcul classique de retour sur investissement (ROI)  ne plaide pas en faveur d’un tel équipement. La raison ? Le calcul de ROI se fait sur le gain obtenu par le remplacement d’un opérateur par un robot. Ce gain est d’autant plus significatif que les séries sont grandes. Or les PMI travaillent essentiellement sur des petites et moyennes séries. Problème.

Le Cetim a donc demandé à Pascale Brenet, enseignante chercheuse à l’université de Franche Comté, de plancher sur un « modèle économique élargi » pour justifier un tel investissement. Elle a étudié sur site les tenants et les aboutissants d’une robotisation dans diverses PME. Et, forte de données réelles, a bâti son modèle. Elle vient de l’achever.

La conclusion : pour juger réellement de l’apport de la robotique il faut aller bien au-delà du seul calcul de ROI et prendre en compte tous les apports qualitatifs d’une robotisation. Le modèle comporte ainsi une batterie d’indicateurs, une vingtaine au total,  qui prennent en compte, outre l’aspect financier de l’opération, tous les impacts sur les ressources humaines, le marketing et la production proprement dite. « Ils permettent de prendre une décision raisonnée quant à l’utilité de l’installation d’un robot et de définir là où il est le mieux indiqué » dit Pascale Brenet.

Deux exemples pour illustrer la logique de la démarche. Pour tirer pleinement profit du robot, il faut l’utiliser au maximum. Pour cela la PME peut être conduite à augmenter son volume d’affaires, donc à se fixer de nouveaux objectifs et donc à accompagner l’installation de la machine d’un effort commercial. Le calcul de ROI ne tient pas compte de ce type d’impact.

De même, les PME ne cherchent pas nécessairement à supprimer du personnel. Leur logique est plutôt de faire croître l’activité à personnel constant. Chez elles, « robot » ne signifie pas « suppression d’un opérateur », mais affectation de celui-ci à d’autres tâches plus productives (et souvent plus intéressantes).

Bref, avec ces indicateurs, la PME est à même de bâtir une stratégie liée à l’introduction du robot, stratégie qui peut avoir un profond impact sur son fonctionnement. On est loin du bestial calcul de ROI…

Cette étude peut sembler ad hoc. A mon avis il n’en est rien. Elle ne fait que substituer une logique industrielle à une pure logique financière. Et c’est là le point clé. Pascal Brenet raconte que dans l’une des entreprises qu’elle a étudiées, le pdg avoue n’avoir pas vraiment chiffré l’apport du robot. Il s’est malgré tout équipé parce pour lui la problématique était claire :  « robotiser ou disparaître ». Dans ce contexte, le ROI est nu !

vendredi 20 janvier 2012

Nihil novi sub sole

Leçons d'Histoire 
Je relisais il y a peu L’Europe Technicienne (The Prometheus Unbound en VO).  Cet ouvrage de référence de l’historien américain David Landes sur l’industrialisation de l’Europe à partir des années 1750 est paru en 1969. Il est toujours aussi passionnant et instructif. Et puisque les réussites industrielles allemandes font aujourd’hui l’envie de tous, je ne résiste pas à vous en faire partager quelques extraits.
« [En 1850, l’Angleterre] est à l’apogée de sa carrière d’atelier du monde. […] Cette petite île dont les habitants étaient deux fois moins nombreux que ceux de la France, donnait les deux tiers du charbon produit dans le monde, la moitié du fer, la moitié du drap de coton. Sa marchandise faisait prime sur tous les marchés du monde ; ses industriels ne craignaient nulle concurrence »
Pourtant,  à partir de 1850, c’est, en Europe, l’Allemagne qui va peu a peu s’imposer au détriment du Royaume-Uni jugé pourtant indépassable. Les raisons sont multiples, mais j’en ai choisi trois qui me paraissent significatives.

Au milieu du XIXè siècle l’Angleterre sûre d’elle-même boude l’innovation.
« Pendant ce temps, en Allemagne, l’innovation s’était faite institution : le changement faisait bel et bien partie du système. On ne pouvait compter sur de grandes découvertes [locales]. Mais on pouvait compter que les inventions, quelles qu’en fussent les origines, seraient expérimentées et exploitées ; et il y avait au sein de l’industrie elle-même un courant régulier de petits perfectionnements qui, en s’accumulant constituèrent une révolution technique ».
Et maintenant ceci :
« Pour juger au mieux de cette façon tout pécuniaire de poser les problèmes [d'investissement, en Angleterre] il n’est que de la mettre en regard de la rationalité technique des allemands. C’était une arithmétique d’une autre espèce, qui maximisait non point les bénéfices, mais le rendement technique. Pour l’ingénieur allemand, pour l’industriel, pour le banquier qu’il avait derrière lui, le nouveau était à désirer non pas parce qu’il rapportait, qu’il était «payant » comme disent les anglais, mais parce qu’il se traduisait par un meilleur travail. Il y avait la bonne et la mauvaise manière de faire les choses, et la bonne, c’était la manière scientifique, mécanisée, celle qui mobilisait surtout du capital. »
Et ceci enfin, concernant l’instruction. Elle avait fait la force de l’Angleterre au XVIIIè voici ce qu’écrit Landes pour le milieu de XIXè :
« L’instruction, c’est la transmission de quatre sortes de connaissances, chacune contribuant à sa manière au rendement économique. 1) Le savoir lire, écrire et calculer. 2) la compétence technique de l’artisan et du mécanicien  3) la combinaison du principe scientifique et de l’application pratique dans la formation de l’ingénieur ; 4) la connaissance scientifique de haut niveau théorique et appliquée. Dans les quatre domaines, l’Allemagne possédait ce que l’Europe avait de mieux à offrir ; dans les quatre domaines, à l’exception peut-être du deuxième, l’Angleterre demeurait loin en arrière.»
Cela se passe de commentaires, non ?

mercredi 18 janvier 2012

Bientôt : un (vaste) programme pour robotiser les PME françaises

Chacun a sa petite idée pour réindustrialiser la France ou, du moins, éviter les délocalisations. Le Symop (syndicat des entreprises de technologie de production) a évidemment la sienne et ce n’est probablement pas la plus mauvaise.


Les aficionados de techno le savent certainement, il y a déjà plusieurs années le Symop a lancé un mot d’ordre : « robocalisez ! » dit-il à l’attention des PME. Comprendre : robotisez pour ne pas délocalisez. En installant des robots dans votre entreprise vous allez tellement gagner en productivité et en qualité que vous n’aurez plus besoin d’avoir recours à la délocalisation. Belle promesse.  


L’idée a mis du temps à faire son chemin. En, particulier les pouvoirs publics ont  longtemps fait la moue. Mais le Symop n’a pas désarmé. Résultat, étude à l’appui, il a fini par les convaincre que l’idée n’était en fin de compte pas si mauvaise. Et dans le même temps le verbe « robocaliser » s’est mis à faire partie du vocabulaire de nombreux représentants du monde industriel.


Pourquoi reparler de cela aujourd’hui ? Parce que j’ai interviewé Vincent Schramm, directeur général du Symop, et que j’ai découvert un ambitieux projet d’aide à la robotisation des PME françaises. Il est baptisé Start PME. Le Symop en est le porteur, le Cetim (Centre technique des industries mécaniques), le bras armé et le CEA le partenaire scientifique.


Start PME a déjà été jugé éligible pour les investissements d’avenir (ex Grand Emprunt). Le projet va être déposé fin janvier espérant obtenir un financement de l’état de l’ordre de 5 M€. Il vise deux objectifs
1.      Informer et sensibiliser les PME françaises au sujet de la robotique
2.      Accompagner 250 PME dans leur démarche de mise en place d’un robot, démarche qui est loin d’être aussi simple qu’il n’y paraît car elle a notamment d’importants impacts sur l’organisation même du processus de production.

Sans entrer dans le détail, le projet veut mettre en place un réseau d’experts pour aider les PME à faire un diagnostic de l’intérêt de la robotisation et financer ce diagnostic à 50%. Puis aider à (et financer une partie de) la mise au point d’un cahier des charges, et enfin aider à l’investissement. « Nous envisageons de financer jusqu’à 10% du coût d’installation » dit Vincent Schramm.


Pour juger de l’intérêt de l’opération, il faut savoir que la France dispose de deux fois moins de robots que l’Italie et près de cinq fois moins que l’Allemagne (voir sur le site de robocaliser,  http://www.robotcaliser.com). Il y a à l’évidence quelque chose à faire, si l’on croit peu ou prou aux vertus de la robocalisation...


Ajouté le 6 juillet 2012. Dernières nouvelles du programme. Son montage prend plus longtemps que prévu. Son financement est actuellement étudié par la DGCIS. Etape suivante la signature par le premier ministre. Vincent Schramm espère que, si tout se passe bien, il pourrait démarrer avant la fin de l'année

mardi 17 janvier 2012

Louis Gallois et le rebond industriel

"Le rebond est possible"...
Sur Xerfi Canal, la chaîne télé Web de la société d’études Xerfi , Jean-Michel Quatrepoint interviewe Louis Gallois, pdg d’EADS. Thème : la ré industrialisation de la France. Titre : « Le rebond industriel est possible». C’est encourageant.

L’interview, intéressante, dure trente minutes. Si vous avez le temps vous pouvez la voir là : http://www.xerficanal.com/louis-gallois-le-rebond-industriel-est-possible-256.html

Si vous n’avez pas le temps, je résume rapidement les propos de Louis Gallois pour ce qui concerne la question fondamentale, à savoir, comment faire pour réindustrialiser. Il insiste sur trois grands axes :

1.       Recherche Education. « Il faut mettre davantage de moyens sur la Recherche, l’éducation orientée vers les métiers de l’industrie et la formation à ces métiers. »  Notamment la R&D devrait atteindre les 3% du PIB, comme le préconise Lisbonne.

2.       L’aspect financier. « Les entreprises sont sous capitalisées ce qui les met dans la main des banques et cela ne va pas s’arranger avec Bâle 3. Les banques ne pourront plus être le pourvoyeur de crédit qu’elles ont été dans le passé ». Donc, « il faut renforcer les fonds propres des entreprises en réorientant l’épargne vers l’investissement productif. » Louis Gallois note aussi comme on pouvait s’y attendre : « il faut abaisser le coût du travail par l’allègement des charges sociales sur les entreprises, donc en transférer une partie sur la fiscalité, la TVA étant l’un des instruments. » La raison : non pas baisser les prix, mais « améliorer la rentabilité des entreprises de taille moyenne, qui est très inférieure à celle des PME allemandes ». En contrepartie : « les bénéfices réalisés doivent être réinvestis dans l’entreprise. »       
3.       Troisième pilier : « la solidarité dans les filières » et là, dit-il, «  les grands groupes ont un rôle à jouer.  Les grandes entreprises ne sont pas celles qui vont créer de l’emploi car elles ont une stratégie mondiale, mais elles ont un rôle d’irrigation et de soutien de leur réseau de sous-traitants.»        

Lejaby : quand la CFDT voit clair sur le textile

Entendu ce matin aux infos, sur France Culture, Nicole Mendez de la CFDT, a propos de Lejaby. Elle souhaite que Lejaby soit repris par « un industriel » et non pas par un fonds « car on voit bien que les fonds n’y connaissent rien » dit-elle.

Elle, en revanche, tient un vrai discours industriel :  «  le nerf de la guerre c’est le produit […] Il faut quand une consommatrice achète un produit cher qu’elle croit fabriqué en France qu’il soit effectivement fabriqué en France ».

Elle met le doigt très précisément sur un point clé de la « réindustrialisation », ce que les fonds, aux manettes de Lejaby n’ont pas compris ou pas cherché à comprendre. On peut produire en France des produits textiles, à condition de jouer le bon jeu, le seul possible  : fabriquer des produits chers, très chers, de luxe et surtout de très haute qualité. Comme le font Vuitton ou Hermès avec leur produits.

Malheureusement la logique de la plupart des entreprises du textile n’est pas celle là . Elle est celle des bénéfices rapides et…  de la mort certaine. Leur logique : prendre une marque française de qualité qui se vend cher. Délocaliser la production, ce qui s’accompagne toujours d’une forte baisse de la qualité et d’une baisse tout aussi significative des coûts. Continuer à vendre au même prix. Ça maximise les profits ! Pour un temps, seulement. Les clients qui paient chers ne sont pas dupes longtemps. Et tout finit pas s’écrouler.

Les exemples de telles faillites, comme Lejaby, sont légion. J’en ai vu deux  rien que cette semaine alors que je faisais  les Soldes de saison. Le premier Old England. Le magasin du Bd des italiens brade tout à -50% car iI ferme définitivement. Il n’a pas joué la seule carte qui pouvait le sauver, faire du très haut de gamme. Au contraire il a élargi sa gamme à des produits médiocres vendus quasiment aussi chers que ses vêtements haut de gamme traditionnels. Les clients n’ont pas suivi. Autre exemple, que me signale ma femme : Chantal Thomass brade une partie de ses lingeries au Galeries Lafayette et même à -75% on ne se les arrache pas ! La qualité made in China  est déplorable et n’a plus rien à voir avec ce qui faisait la réputation de la marque. Qui en voudrait…