mardi 9 février 2016

Usine du Futur : une Bible et un Missel, pour comprendre (enfin) de quoi il s’agit

L'usine du futur est pour demain...
La Fabrique de l’Industrie honorable Think Tank auquel il m’arrive de contribuer, vient de publier une petite synthèse d’une douzaine de pages, « Industrie du futur : concepts et état des lieux. » Ce document explique de façon concise en quoi consiste le concept, où se situe la France et tire un premier bilan des actions engagées par le gouvernement sur ce thème. Utile.

Je saisis l’occasion de la sortie de cette synthèse pour rappeler à ceux qui l'ignoreraient que la Fédération des Industries Mécaniques (FIM) a sorti en novembre dernier son propre document, « Guide Pratique de l'Usine du Futur  : enjeux et panorama de solutions. »

Ce dernier est plus roboratif – il compte 61 pages – et est donc un peu plus complet. Il est tout aussi utile que le document de La Fabrique mais présente un intérêt supplémentaire. Il ne se contente pas de de présenter les concepts et l’état des lieux, il se veut « le » document de référence français en matière d’Usine du Futur, une sorte d’équivalent hexagonal à ce que la publication du document Industrie 4.0 par l’Académie des Sciences allemande représente pour l’Allemagne et qui en diffère sur plusieurs points
.

Philippe Contet, directeur innovation et technologie de la Fédération, qui a mené ce projet précise ainsi que « ce guide servira notamment de référence aux travaux de l’Alliance pour l’industrie du futur » qui compte comme membres, outre la FIM, le Cetim, le Gimélec, le Symop, l’Afdel, Syntec Numérique, l’UIMM, le CEA, l’Ensam et l’Institut Mines-Télécom.

A noter également que ce document a vocation à « évoluer en permanence notamment afin de proposer des versions prenant en compte les spécificités des différentes filières industrielles. » 

Munis de cette Bible et du Missel, la version light de La Fabrique, vous voici en tout cas bien équipés pour affermir votre foi dans ce concept sur lequel la réindustrialisation et la compétitivité  se fondent pour créer un monde meilleur…

Télécharger
Le Guide de La Fabrique

Quelle est la contribution de la France à l’innovation mondiale ? (Indication : elle n’est pas si mauvaise...)

Onzième... De quoi pavoiser ?
Le think tank américain ITIF s’est posé une question originale : Quels sont les pays dont les politiques économiques et commerciales favorisent le plus l’innovation mondiale ? En est issu un long document - plus de 100 pages - qui analyse en détail en quoi chaque pays contribue à l’innovation mondiale ou bien la freine.

Résultat : la France se situe au onzième rang, juste derrière les Etats-Unis (10è) et juste devant l’Allemagne (12é) et le Japon (14è). Les neuf premiers, dans l’ordre sont : Finlande, Suède, Royaume-Uni, Singapour, Pays-Bas, Danemark, Belgique, Irlande et Autriche. La Chine est 44è.

L’étude a analysé 56 pays. Elle fonde son classement sur 27 indicateurs. Quatorze  favorisent l’innovation. Ils sont groupés en trois catégories : les montants d’imposition, l’éducation,  la R&D et la technologie. Treize l’inhibent. Ils ont également regroupé selon trois catégories : protection de la propriété intellectuelle, balkanisation des marchés, balkanisation de la production.

Quelle est la morale de cette étude ? L’ITIF conclue que « pour maximiser l’innovation mondiale il est nécessaire de développer les mécanismes propres favoriser les contributions positives des pays et à supprimer les freins », ce qui tient un peu de la Lapalissade... Les auteurs ajoutent toutefois une considération plus intéressante notant que « le plus crucial pour aller dans cette direction tient à prise de conscience par le responsables politiques et les économistes que désormais l’innovation revêt la même importance que le commerce pour l’amélioration de la croissance économique. »  

On notera enfin une intéressante catégorisation des industries innovantes. Selon les auteurs, elles ont quatre caractéristiques en commun :
- L’innovation est cruciale pour leur compétitivité
- Leurs coûts marginaux sont significativement inférieurs à leurs coûts moyens, autrement dit elles affichent des rendements d’échelle croissants.
- Elles dépendent davantage que les autres de la propriété intellectuelle
- Elles dépendent plus que les autres du libre mouvement de la connaissance, de l’information et des données

On peut télécharger l'étude complète en cliquant juste là 

mercredi 3 février 2016

Histoire de boulon : il aura fallu près de mille ans avant de penser cette solution évidente !

Eh oui! Il suffisait d'y penser
Depuis près d’un millénaire qu’il existe, c’est toujours la même histoire : les écrous vissés sur des boulons ont une fâcheuse tendance à se desserrer, lorsqu’ils sont soumis à des vibrations par exemple.

Pour "freiner"ce fichu écrou, depuis des siècles, les ingénieurs ont consacré leur énergie à mettre au point  des solutions diverses et variées, du genre contre écrou, rondelle bloquante, collage...  Bien. Mais jamais parfait.

Et voici qu’après des siècles d’innovation dans le boulon, le Cetim (Centre Technique des Industries Mécaniques) a trouvé une sorte de Graal : l’écrou indévissable ! C’est génial. C’est tout bête.

Pour éviter les dévissages intempestifs il suffit d’utiliser un contre écrou. Mais pas comme on le fait habituellement. Ce contre écrou est monté sur un filetage... de sens inverse de celui du premier. Ainsi, quand le premier écrou montre des velléités de dévissage, il vient se heurter au second, ce qui a pour effet de provoquer le serrage de ce dernier et le blocage du tout !

Résultat : un dispositif d’une simplicité extrême mais qui est anti-dévissage par construction. 

Pour monter à la suite du premier le second écrou au filetage inversé, l’astuce consiste tout simplement à réduire le diamètre de l’extrémité de la vis : le premier écrou au diamètre plus important passe sans problème, le second se visse sur le filetage à pas inversé.

Mis au point par le Cetim, l’écrou miracle est fabriqué par la société André Laurent, spécialiste du vissage. C’est une véritable innovation, de celles qui, après coup, paraissent si évidentes que l’on s’écrie comme un seul homme : « Bon sang, mais c’est bien sûr comment personne n’y avait jamais pensé… !? » 

PS : Dans la série « Bon sang mais c’est bien sûr ! » de la mécanique on peut lire l’histoire tout aussi édifiante d’une rondelle miracle à la conception de laquelle l’inévitable Cetim avait participé.

PS2 : Après avoir écrit ce papier j’ai soudain pensé : « oui, c’est bien beau tout cela ; le premier écrou est bloqué, soit. Mais qu’est ce qui empêche le second écrou de se dévisser et par suite le premier ? » C’est sans fin comme l’histoire de Ségolène Royal qui voulait qu’un policier raccompagne chez lui un autre policier. Qui raccompagnera le second ?
Renseignement pris, et c’est là qu’on voit tout la complexité de la mécanique, voici le fin mot de l’histoire. Pour éviter que le second écrou ne se dévisse, on utilise les moyens classiques de blocage. On peut lui mettre un point de soudure par exemple. Quel est l’intérêt du dispositif dès lors ?  Il faut savoir que les  freinages classiques dégradent la qualité du serrage. Voici donc l’atout essentiel : pour le premier écrou, ce système assure que le serrage est optimal. C’est le second qui subit, lui,  une dégradation, ce qui n’est pas important puisque les caractéristiques exactes du serrage ne dépendent pas de lui. Tout cela vaut, bien sûr pour des assemblages ultra-sensibles où il n’est pas question de dévier d’un iota des conditions nominales.

jeudi 28 janvier 2016

Fabrication additive : l’étonnante résurrection française

La machine du français Beam. Pas pour bricoler
dans son garage...
C’était plutôt désespérant. A la fin de l’année 2013, l’américain 3D Systems rachetait le fabricant français de machine de fabrication additive de pièces en métal, Phenix Systems. Un sale coup. Il ne restait plus qu’un seul français dans la course de l’impression 3D industrielle, le tout petit Prodways, spécialisé lui dans la production de pièces en plastique.

Deux ans plus tard, tout a changé et pour le mieux. Il y désormais pas moins de trois fabricants français de machines pour les pièces en métal et un pour le plastique. Une véritable résurrection ! Elle est la bienvenue car le marché est désormais fortement tiré par l’industrie aéronautique qui s’est entichée des imprimantes 3D pour la production de pièces en métal. Il était temps…

Qui sont ces fabricants français ?

Il y a toujours Prodways, passée en 2013 dans le giron du groupe Gorgé. L’entreprise croît à une vitesse phénoménale et s’est déjà implantée aux Etats-Unis. « Nous n’avions qu’un employé lors du rachat de Prodways, nous sommes aujourd’hui près de 200 », dit le Pdg du groupe, Raphaël Gorgé. Outre ses imprimantes pour le plastique, Prodways s’est équipée d’une dizaine de machines du commerce pour produire des pièces en métal pour l’aéronautique et le spatial. Surtout, elle vient d’annoncer qu’elle allait sortir sa propre machine pour le métal en 2016. Pour ce faire, Prodways est alliée à une entreprise chinoise qui produit les moteurs de ses machines.

Il y a ensuite Beam, spin off du Critt Irepa Laser qui a exploité une technologie développée de longue date au sein de cet institut.  Beam, créée début 2013, utilise le procédé  de Construction Laser Additive Directe (CLAD) qui consiste à injecter des poudres métalliques par une buse et les fondre par laser. Il s’est allié à Fives pour la construction des machines. Grand atout de sa technologie, elle permet non seulement de fabriquer des pièces nouvelles mais également d’en réparer. Et c’est ce créneau de la réparation dans le domaine aéronautique sur lequel elle s’est positionnée pour démarrer. Safran lui a déjà acheté une machine.

Le dernier venu est le plus étonnant : il s’agit de… Michelin !  Il a annoncé en septembre dernier une filiale commune 50-50 avec l’inévitable Fives,  Fives Michelin Additive Solutions, pour proposer des machines 3D pour des pièces métalliques et toute une gamme de services. Que vient faire le fabricant de pneus en caoutchouc dans cette galère ? Il travaille depuis quelque sept ans sur ce sujet. Son but : réaliser les milliers de petites lamelles en acier utilisés dans les moules de production des pneus pour dessiner les sculptures. Grâce à l’impression 3D Michelin peut réaliser des pièces de formes originales, complexes et impossibles à produire autrement. Il entend valoriser son savoir-faire de production – il a déjà produit des centaines de milliers de telles lamelles – dans une gamme de machine qui est en cours de réalisation.

Voilà donc de bonnes nouvelles, d’autant qu’elles s’accompagnent de nombreuses initiatives qui, au-delà des seules machines, démontrent que c’est tout un écosystème industriel qui se met en place en France autour de la fabrication additive.

Ainsi, Prodways a connu une frénésie d’acquisitions en 2015. Elle a racheté Initial, société de service dans la fabrication additive puis Norge Systems, start-up anglaise dont les fondateurs ont développé une gamme de machines de fabrication additive utilisant le frittage laser de poudres plastiques et enfin Exceltec, société spécialisée dans le développement et la distribution de matières polymères pour l’impression. Elle vient également de s’allier  avec le groupe Nexteam, un spécialiste de de l’usinage de pièces complexes et des métaux durs pour l’aéronautique et le spatial. Explication : les pièces conçues par impression 3D nécessitent le plus souvent des opérations d’usinage classique en aval.

Côté alliances, on retiendra également la création en décembre dernier, d’une entreprise commune entre Poly-Shape, spécialiste de la production par fabrication additive, et l’équipementier Lisi. Cette joint venture, Lisi Aerospace Additive Manufacturing  est détenue à  60% par Lisi et 40% par Poly-Shape. Elle est vouée à la réalisation de pièces mécaniques aéronautiques et spatiales. « Notre objectif est de porter ce procédé à une échelle industrielle compatible avec les exigences techniques et économiques des grands donneurs d’ordres » dit Lisi. Quant à Stéphane Abed, patron et fondateur de Poly-Shape, il explique que la demande de l’industrie aéronautique est aujourd’hui telle que son entreprise n’est plus en mesure de la satisfaire à elle seule.

Cette embellie durera-t-elle ?  On peut s’interroger sur la réaction des puissants fabricants de machines d’usinage. Ils sont déjà une quinzaine à offrir des machines dites hybrides qui mêlent de l’usinage traditionnel, comme le fraisage, à l’impression 3D et pourraient s’avérer menaçants pour ces nouveaux venus (lire à ce propos l’excellent et exhaustif article  de Mirel Scherer sur le blog Fabrication Mécanique).