mercredi 23 janvier 2013

Fleur Pellerin : de bonnes mesures pour l'innovation


Hier, lors de la remise des Trophées de l’Innovation décernés par l’INPI, Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique a consacré son discours a l’innovation. Un discours intéressant avec une présentation de décisions déjà prises ou à venir concernant l’innovation.

Bonne nouvelle : ces mesures vont dans le bon sens. Surtout on remarquera à cette occasion que c’est peut être la première fois que l’innovation est vraiment traitée en tant que telle et non par le biais de la R&D. Cela constitue vraiment un progrès considérable. La création du poste de ministre délégué à l'innovation se justifie pleinement.

Voici quelques extraits des points clés du discours

Sur la création  du crédit d’impôt innovation

« nous avons créé le Crédit d’impôt Innovation destiné aux PME : les dépenses de prototypage sont maintenant soutenues à hauteur de 20%. C’est donc jusqu’à 400 000 euros qui peuvent être économisés dans le développement d’un nouveau produit »

Sur les pôles de compétitivité et l’innovation

« Concrètement, nous venons d’entrer dans une nouvelle phase de l’existence des pôles de compétitivité, qui, au cours des six prochaines années, deviendront le pivot de notre système d’innovation. Désormais, les projets seront suivis et accompagnés tout au long de leur durée, de leur invention jusqu’à leur industrialisation et leur commercialisation. Les débouchés économiques seront l’objectif numéro 1 des pôles, sur lesquels ils seront évalués.  En résumé, les pôles deviendront des "usines à produits d’avenir".»
«Pour accompagner les pôles dans cet effort, 100 millions d’euros issus du PIA ont été affectés à un programme d’industrialisation des projets développés par les pôles de compétitivité, ce qui représente un effort tout à fait significatif de la part du Gouvernement. »

Le soutien au design

« La France possède une grande tradition de design, fortement reconnue dans le monde entier, qui est habituellement négligée par nos politiques : je veillerai à y remédier, car l’innovation n’est pas uniquement technologique »

Le rôle de l’état

« J’affirme que l’Etat doit être à nouveau capable, comme il le fit par le passé – et avec succès –, de définir des priorités au service de l’innovation française. […] Nous avons donc pris la décision de mettre en place un programme de soutien aux innovations de ruptures, d’ores et déjà doté de 150 millions d’euros, dont la Banque Publique d’Investissement sera l’opérateur. Ainsi, en fonction de nos atouts et de nos savoir-faire, l’Etat déterminera-t-il les défis à relever, dans des secteurs aussi différents que l’énergie – notamment les énergies renouvelables –, le numérique, la santé, etc. Notre objectif sera d’accompagner la création des grands champions industriels de demain : pourquoi les Google de 2030 ne pourraient-ils pas naître parmi nos PME et nos ETI, aidées et renforcées ? »
Il y a pas mal d'autres choses encore (notamment sur les brevets) dans ce discours. Vous pouvez le lire dans sont intégralité en cliquant sur ce lien 

jeudi 17 janvier 2013

Un an de réindustrialisation : les idées se clarifient

Il y a un an jour pour jour démarrait ce blog avec – hasard ou prémonition ? - un papier sur Louis Gallois, encore patron d’EADS, se disant assuré que « le rebond industriel de la France  est possible.» Il affirmait déjà : «  il faut abaisser le coût du travail par l’allègement des charges sociales sur les entreprises, donc en transférer une partie sur la fiscalité».

L’eau a coulé sous les ponts depuis. Près de 200 posts ont été publié (plus de 300000 signes ! ), le blog attire de plus en plus de visiteurs, que je salue ici (vous êtes plus de 150 chaque jour) et, surtout,  il s’est passé pas mal d'évènements notables sur le front de la réindustrialisation.

1. En France, elle est devenue « redressement productif » avec un ministre qui a plutôt déçu les rares qui en attendaient des résultats concrets. Passons…
2. Le souhait du soldat Louis Gallois – le « choc de compétitivité » - a été a moitié exaucé. Dans son souci permanent de ménager la chèvre et le chou, le gouvernement a pris une décision très courageuse en acceptant d’apporter 20 milliards aux entreprises et, dans le même temps, en a affaibli la portée par le choix de la méthode. Le « choc » est devenu « pacte ». On verra ce que ça donne.

En fait, ces tribulations franco françaises ne sont pas le plus important. Ce qui me frappe en regardant l’année écoulée est de voir à quel point la réflexion a avancé sur le sujet de la réindustrialisation. Et ce n’est pas de la France viennent les idées les plus intéressantes, mais des Etats-Unis.

En France, l’idée de relancer l’industrie manufacturière fait (apparemment) consensus. Là bas il existe une population exotique – les « libéraux »… – qui ne sont ni convaincus que le manufacturing doit faire l’objet d’un traitement spécifique et encore moins que l’état a un rôle à y jouer. Moralité : ça discute et ça débat. Et pour faire avancer leurs idées, tout au long de l’année les « pro manufacturing » n’ont pas été avares en publications, rapports, études et ouvrages de réflexion sur le sujet. Le blog s’en est fait l’écho.

Ainsi, peu à peu les idées ont mûri et les arguments se sont affinés. On a commencé par « Le manufacturing c’est bon pour l’emploi car un emploi créé en génère plusieurs dans les services. »  On en est aujourd’hui à « le manufacturing n’apportera rien en termes d’emplois mais il est indispensable pour innover. » Et on se fait même plus précis : « tous les types de production manufacturière ne sont pas souhaitables sur le territoire américain ; seuls ceux pour lesquels il est important que la R&D soit proche de la production comptent car c’est ceux là uniquement qui génèrent de l’innovation. »

Dernière avancée sur le thème du type de production que doivent développer les Etats-Unis sur leur territoire, celle de l’économiste Ricardo Hausmann. Il affirme : « la direction la plus pertinente à prendre par les Etats-Unis est celle de la production des machines qui seront indispensable pour réaliser les produits de la prochaine révolution industrielle. C’est là que les produits sont le plus complexes et aussi que les salaires seront les plus importants. »

Ce point de vue renforce celui qui s’est affirmé cette année et selon lequel les outils de production avancés et la R&D sur ce thème sont d’une importance fondamentale. L’idée a fait son chemin en Europe comme aux Etats-Unis.

Trois autres points sont à retenir :

1. L’amorce d’une relocalisation  de la production aux Etats-Unis, fait qui a été abondamment argumenté dans une importante étude du Boston Consulting Group et popularisé notamment par les propos du patron de GE.
2. La prise de conscience renouvelée de l’importance de l’automatisation – et de la robotique en particulier – qui apparaît comme la solution miracle pour la compétitivité. Ce qui explique également pourquoi on ne croit désormais plus à l’industrie comme génératrice d’emploi. On embauchera plus de robots que d’individus
3. La prise de conscience renouvelée de l’importance des technologies de l’information et de la révolution numérique. L’idée qu’en la matière « on n’a encore rien vu » et que de formidables développements vont tout changer prend de l’importance. Même Paul Krugman, le fameux économiste américain, s’en est récemment  convaincu. Idée qui va de pair avec celle selon laquelle nous serions dans la phase de destruction de la « création destructrice » chère à Schumpeter et qu’une nouvelle et formidable ère d’innovation est pour… demain (elle ferait bien de se presser…).

Enfin, côté technologies on pourra se rappeler 2012 comme l’année où deux technologies ont pris leur essor et commencé à faire vraiment parler d’elles : les Big Data, toutes nouvelles, ont émergées tandis que les technologies de fabrication additive, plus anciennes, ont franchi cette année un cap décisif.

lundi 7 janvier 2013

Industrie : inventée par l'Angleterre, mais c'est toujours l'Allemagne qui gagne...


Je relisais il y quelque temps L’Europe Technicienne (The Prometheus Unbound en VO).  Cet ouvrage de référence de l’historien américain David Landes sur l’industrialisation de l’Europe à partir des années 1750, est paru en 1969. Il est toujours aussi passionnant et instructif. Et puisque les réussites industrielles allemandes font aujourd’hui l’envie de tous, je ne résiste pas à vous en faire partager quelques extraits.
« [En 1850, l’Angleterre] est à l’apogée de sa carrière d’atelier du monde. […] Cette petite île dont les habitants étaient deux fois moins nombreux que ceux de la France, donnait les deux tiers du charbon produit dans le monde, la moitié du fer, la moitié du drap de coton. Sa marchandise faisait prime sur tous les marchés du monde ; ses industriels ne craignaient nulle concurrence »
Pourtant,  à partir de 1850, c’est, en Europe, l’Allemagne qui va peu a peu s’imposer au détriment du Royaume-Uni jugé pourtant indépassable. Les raisons sont multiples, mais j’en ai choisi trois qui me paraissent significatives.

Au milieu du XIXè siècle l’Angleterre sûre d’elle-même boude l’innovation.
« Pendant ce temps, en Allemagne, l’innovation s’était faite institution : le changement faisait bel et bien partie du système. On ne pouvait compter sur de grandes découvertes [locales]. Mais on pouvait compter que les inventions, quelles qu’en fussent les origines, seraient expérimentées et exploitées ; et il y avait au sein de l’industrie elle-même un courant régulier de petits perfectionnements qui, en s’accumulant constituèrent une révolution technique ».
Et maintenant ceci :
« Pour juger au mieux de cette façon tout pécuniaire de poser les problèmes [d'investissement, en Angleterre] il n’est que de la mettre en regard de la rationalité technique des allemands. C’était une arithmétique d’une autre espèce, qui maximisait non point les bénéfices, mais le rendement technique. Pour l’ingénieur allemand, pour l’industriel, pour le banquier qu’il avait derrière lui, le nouveau était à désirer non pas parce qu’il rapportait, qu’il était «payant » comme disent les anglais, mais parce qu’il se traduisait par un meilleur travail. Il y avait la bonne et la mauvaise manière de faire les choses, et la bonne, c’était la manière scientifique, mécanisée, celle qui mobilisait surtout du capital. »
Et ceci enfin, concernant l’instruction. Elle avait fait la force de l’Angleterre au XVIIIè voici ce qu’écrit Landes pour le milieu de XIXè :
« L’instruction, c’est la transmission de quatre sortes de connaissances, chacune contribuant à sa manière au rendement économique. 1) Le savoir lire, écrire et calculer. 2) la compétence technique de l’artisan et du mécanicien  3) la combinaison du principe scientifique et de l’application pratique dans la formation de l’ingénieur ; 4) la connaissance scientifique de haut niveau théorique et appliquée. Dans les quatre domaines, l’Allemagne possédait ce que l’Europe avait de mieux à offrir ; dans les quatre domaines, à l’exception peut-être du deuxième, l’Angleterre demeurait loin en arrière.»
Cela se passe de commentaires, non ?

jeudi 3 janvier 2013

Petit débit mais grande innovation : le réseau mobile pour l’Internet des objets


Les opérateurs télécom s’acharnent à mettre au point des réseaux mobiles toujours plus performants : jusqu’à 100 Mbit/s avec la 4G. Pendant ce temps, une start-up française, Sigfox arrive sur le marché avec un réseau ridicule : un débit maximum de 1 Kbit et, tenez vous bien, commençant à 10 bit/s. Cent mille fois moins que la 4G ! Et c’est une colossale innovation !

Innovation ? Oui car, en l’occurrence, moins, c’est beaucoup plus. Parce que ce réseau n’a pas pour ambition de véhiculer des flots de données à grande vitesse, comme des images ou de la vidéo. Il se destine à une application bien particulière : l’Internet des objets. Autrement dit au dialogue entre des objets munis d’un peu d’intelligence et un ordinateur. Et pour ce que les objets ont à dire, ce débit microscopique est largement suffisant. Pensez par exemple au relevé à distance de compteurs électriques. Ou au suivi centralisé d’objets divers et variés.

La beauté du réseau de Sigfox est que sa technologie dite UNB (ultra narrow band) est non seulement bien suffisante pour les applications qu’elle vise mais surtout qu’elle apporte des bénéfices inouïs.

Le plus important tient au fait que contrairement aux réseaux classiques dont les stations de base n’ont qu’un champ d’action limité, la technologie UNB offre une très longue portée : jusqu’à 40 km en champ libre. Résultat au lieu d’un maillage extrêmement fin du territoire, il suffit de très peu d’antennes pour couvrir un vaste espace.  Selon Ludovic Le Moan, le fondateur et patron de Sigfox, «  dix antennes suffisent pour couvrir une ville comme Paris et un millier seulement pour la France entière. »

En outre, les stations de base seraient « 100 fois moins chères à construire et à opérer », tandis que le coût d’équipement d’un objet pour le rendre communicant serait lui aussi en chute libre.

L’intérêt du système n’a pas échappé à Intel qui a participé largement à la seconde levée de fonds de 10 M€ réalisée en septembre dernier aux côtés des investisseurs existants (Elaia Partners, Partech Ventures International et iXO Private Equity).

On comprend cet intérêt lorsqu’on sait cet « Internet des objets », dont on parle depuis longtemps, semble cette fois bien parti pour décoller. Il n’est qu’à regarder du côté de General Elecric qui vient de lancer le terme « Industrial Internet » pour le désigner et a l’intention d’investir pas moins de 1,5 milliard de dollars sur trois ans pour mettre au point les technologies nécessaires. Pour GE, l’Industrial Internet n’est pas moins que « la troisième vague d’innovation et de changement industriel », après la Révolution Industrielle et celle d’Internet. Excusez du peu ! (voir l’article sur ce blog)

Sigfox a déjà couvert une bonne partie du territoire français et réalisé des applications dans différents pays. Ludovic Le Moan revendique déjà « plus de 10000 objets connectés », dont ceux de Clear Channel (le concurrent américain de JC Decaux) pour télégérer son parc de mobilier urbain.

Les ambitions du « premier opérateur de réseau cellulaire dédié à l’internet des objets »,  sont immenses. Il vise un déploiement mondial de son réseau. « Il suffit de 200 M€ pour couvrir le monde » affirme-t-il. Et, conséquent avec son ambition, il ne saurait se contenter des 12 M€ de financement qu’il a déjà reçu. Il affirme qu’il espère lever 100 M€ pour mener à bien son projet. C’est tout le mal qu’on lui souhaite...

On remarquera en tout cas que le produit de Sigfox est l’illustration parfaite de ce que Clayton Christensen a baptisé disruptive innovation. Un  vrai cas d’école : en étant moins sophistiquée, elle en donne beaucoup plus dans des applications où l’offre disponible est surdimensionnée. Et ce faisant elle prend à contrepied les offreurs établis, en l’occurrence les opérateurs qui, engagés dans une course vers le plus haut de gamme, ont autre chose à faire qu’à venir se battre dans ce nouveau segment de marché…

 Cela dit : est-ce vraiment si sûr qu’alertés par cette offre, si le marché est aussi prometteur qu’on le suppose les opérateurs ne se décident pas à proposer  une solution équivalente ? L’affaire sera intéressante à suivre…