lundi 27 mai 2013

Eric Schmidt (Google) ou le degré zéro de la pensée

Plus libéral que moi, tu meurs...
Eric Schmidt, président du conseil d’administration  de Google, a écrit, ou du moins cosigné avec Jared Cohen, un livre. Titre : The New Digital Age. Sous-titre : Reshaping the future of people, nations and business. On s’attend à des révélations. Quelle déception. Ce qu’on y lit est parfois consternant. Consternant mais aussi extrêmement révélateur. Ce qui explique que j’y consacre malgré tout un article (en général je ne chronique que les livres qui m’ont passionné).

Jared Cohen est certainement l’auteur de l’essentiel du livre mais regardons ce qui semble être la contribution de Schmidt, à savoir le premier chapitre consacré à l’impact d’Internet sur nos vies. Ce chapitre suffit à ruiner le livre.

L’auteur raconte tout ce qu’il est loisible d’imaginer dans le futur comme applications d’une « connectivité généralisée » et considère que puisque c’est possible, c’est souhaitable et que donc ça se produira. Aucun recul. Aucun questionnement. On a ainsi droit à une série de poncifs sur toutes les merveilles que nous réserve l’Internet de demain. Typiquement : la voiture automatique sans conducteur qui vous avertira, compte tenu de la circulation, de votre agenda, du temps qu’il fait, voire de la flexibilité des queues des vaches…, qu’il faut vous grouiller d’avaler votre petit dej’ car, sinon, vous allez être en retard à l’importante réunion qui vous attend.

Ou encore, on découvre qu’Internet va donner la parole à tous, donc développer la démocratie même dans les pires pays totalitaires et aider les économies les plus attardée à décoller...  J’aime aussi beaucoup la sortie sur la médecine avec  le « minuscule implant nasal qui vous informera de la présence de toxines dans l’air et de l’imminence d’un rhume ». C’est vraiment le niveau zéro de la pensée.

Le plus  intéressant  est toutefois ceci : Schmidt applaudit à ce que la connectivité généralisée va rendre possible, à savoir :  la mise en concurrence de tous avec tous. « Des jeunes Uruguayens éduqués pourront ainsi rivaliser pour du travail avec leurs homologues habitant dans le comté d’Orange [Californie] ».

 Et il enfonce le clou : « Les critiques de la mondialisation se plaindront de cette érosion des monopoles locaux, mais on doit la souhaiter car c’est ainsi que nos sociétés iront de l’avant et continueront d’innover. »  Monopole locaux, vous l’aurez compris, ça veut dire travailler là où vous vivez…

Ce faisant Schmidt dévoile ainsi très crument sa pensée : elle n’est pas bien profonde mais hyper libérale. C’est à souligner car du côté de la Californie, ce point de vue n’est pas isolé. La même idéologie, bien que moins nettement affichée, est finalement ce sur quoi repose par exemple un (malgré tout fort intéressant) livre, Makers, de Chris Anderson. Ce livre décrit la vision que l’ex rédacteur en chef de Wired a du futur de l’industrie à l’ère du numérique et des imprimantes 3D. On peut ne pas être ennemi du libéralisme, être un adepte convaincu d’Internet, et trouver que, quand même, ça coince un peu …

Même si la superficialité de ce qu’on n’ose appeler réflexion tant elle est caricaturale, la discrédite en partie, elle ne doit toutefois pas être prise à la légère. On peut en effet déjà constater qu’Internet se prête très bien aux pratiques les plus libérales qui soient. Il semble même parfois avoir été fait pour. La généralisation du travail gratuit – sur les blogs, Youtube, ou chez les adeptes de l’Open Source - en est le stigmate. Combien de gens aujourd’hui produisent gratuitement en espérant par là trouver le moyen de se faire connaître pour (enfin) gagner de l’argent ?

Dans bien des cas, Internet est ainsi déjà le lieu d’un « que le meilleur gagne » général, d’une lutte sans merci pour décrocher un (souvent illusoire) gros lot. Un lieu, qui plus est, souvent parfaitement inégalitaire où les plus favorisés ramassent toute la mise. Songez à la puissance qu’un compte Tweeter  donne aux plus connus à qui leur seule réputation assure des milliers voire des millions de « followers ».  

Bien sûr, tout Internet ne se résume pas à cela, ce qui n’empêche qu’il faut être conscient de cet aspect même s’il paraît difficile de s’en affranchir.

Ah, au fait, à part ça, le reste du livre ? On l’a dit Jared Cohen en a sans aucun doute écrit la plus grande partie. C’est un auteur réputé qui a entre autres fondé Google Ideas et été conseiller de Condoleezza Rice puis d’Hillary Clinton. Les sujets traités sont vastes. Ils concernent l’impact d’Internet sur les Etats, la Révolution, le Terrorisme et les Conflits mondiaux, ce qui n’est déjà pas si mal.... Sans atteindre un Himalaya de la pensée – on est plutôt au niveau du Puy de Dôme -  ce livre apporte un bon nombre d’informations sur ces sujets. Surtout si on n’y connaît pas grand chose.

Faut-il se donner la peine de le lire ? On  peut y jeter un oeil... Il possède en effet un mérite et un seul  : malgré ses errements, il rappelle utilement qu’avec Internet on n’a encore rien vu et que son impact à venir est probablement plus important qu’on ne l’imagine. Surtout, il met clairement en évidence que face à ces enjeux immenses, la balle est dans le camp des politiques.

Cela dit, le think tank de l’Institut Mines-Télécom vient de faire paraître un ouvrage collectif qui traite de ce sujet : « La Métamorphose numérique ». Je n’ai pas achevé sa lecture - il est moins facile que l'opus Schmidt-Cohen - mais, c’est nettement plus relevé et du peu que j’en ai lu, l’ouvrage me paraît autrement enrichissant. Et puis, c’est en français ! On y reviendra.

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