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Pour l'innovation, prenez la première à gauche... |
Comment se fait-il que le
rapport sur l’innovation de Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin qui vient d’être publié (
L’Innovation : un enjeu majeur pour la France - Dynamiser la croissance des entreprises innovantes )
ne me satisfait pas pleinement alors qu'il prend plutôt bien la mesure de son sujet et va dans le bon sens ?
En effet, il dit (enfin) des choses très importantes telles que :
- «
L’innovation ce n’est pas QUE de la R&D »
-
« Il faut […] passer d’une vision où la dépense de R&D est la principale préoccupation, à une vision systémique axée sur les résultats en termes de croissance et de compétitivité. »
-
« Il ne s’agit pas de dépenser plus d’argent public pour l’innovation, mais de le dépenser autrement et de manière plus efficace. »
Ensuite, il s’attaque au problème de façon globale et propose
19 recommandations regroupées dans quatre grandes catégories (voir ci-dessous) depuis la culture d’innovation jusqu’à la mise en place d’une politique d’innovation. Autant que je puisse en juger, les mesures proposées ne sont pas aberrantes, loin de là et visent une grande cohérence.
Et malgré tout, je ne suis pas enthousiaste. Est-ce parce que ce rapport qui aborde très intelligemment la problématique de l’innovation n’apporte au bout du compte pas grand-chose de réellement nouveau ?
Ainsi, il écrit très justement :
« La France oscille entre le rêve américain de la Silicon Valley, où des innovations de rupture sont portées par des start-up, le rêve allemand d’un Mittelstand industriel bien établi et performant en innovation incrémentale, et une tradition française de la planification industrielle dans des filières régaliennes. Cette oscillation brouille la représentation que la France se fait de l’innovation car elle mélange innovation de rupture, innovation incrémentale et « politique industrielle stratégique ».
Cette analyse extrêmement pertinente suscite de grandes attentes. Mais dans le même temps, les recommandations que propose le rapport consistent finalement essentiellement à actionner toujours à peu près les mêmes leviers, d’où une certaine déception.
Le rapport laisse également parfois l’impression de ne pas aller jusqu' au cœur des problèmes. Trois exemples :
- Il souligne
« le besoin de créer des entreprises à fort potentiel de croissance (spin-off et start-up). » Est-il si sûr qu’on manque de start-up ?
Le problème n’est-il pas plutôt qu’elles ne deviennent jamais grandes et sont plus souvent qu’à leur tour rachetées, notamment par des entreprises étrangères ? Cela mériterait d’être examiné de plus près. (Cela dit, la recommandation 10 propose de
"combler le manque de financement en fonds propres des entreprises innovantes", ce qui est déjà un pas dans la bonne direction)
- Il appelle à juste titre à
« organiser une politique d’attractivité des talents autour de l’innovation », autrement dit à favoriser l immigration des ces talents. Mais le problème n’est-il pas aujourd’hui celui de
l’émigration en masse de nos talents, sujet dont on parle peu et qui soulèverait des questions d’une autre envergure si on voulait s'y intéresser ?
- Le rapport reconnaît que
« l’innovation est avant tout une affaire d’individus : la démarche d’innovation a une dimension entrepreneuriale » écrit-il. Mais est-il vraiment sûr que
les politiques actuelles font tout pour favoriser l’entreprenariat dont il faut bien avouer qu’un des ressorts majeurs est souvent l'envie de devenir... outrageusement riche et non de payer 75% d'impôts ?
Bref, malgré ces réserves, ce rapport mérite d'être lu et, si vous le souhaitez,
vous pouvez le télécharger ici. En attendant, je vous en propose ci-dessous la synthèse la plus minimale qui soit : la liste des 19 recommandations regroupées en quatre grands thèmes.
Les 19 recommandations du rapport sur l’innovation de Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin
I. Développer la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat
Recommandation 1 : réviser les méthodes pédagogiques de l’enseignement primaire et secondaire pour développer les initiatives innovantes
Recommandation 2 : mettre en place un programme de grande ampleur pour l’apprentissage de l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur
Recommandation 3 : favoriser l’essaimage à partir des grands groupes
Recommandation 4 : organiser une politique d’attractivité des talents autour de l’innovation
II. Accroître l’impact économique de la recherche publique par le transfert
Recommandation 5 : mettre en place le suivi opérationnel des 15 mesures pour une refondation du transfert dans la recherche publique
Recommandation 6 : favoriser la mobilité des chercheurs entre public et privé
Recommandation 7 : mettre en place un programme cohérent en faveur du transfert par la création d’entreprise
Recommandation 8 : focaliser les SATT sur la maturation
Recommandation 9 : mettre en place une politique cohérente de recherche partenariale public-privé, en regroupant les différentes politiques aujourd’hui éparpillées
III. Accompagner la croissance des entreprises innovantes
Recommandation 10 : combler le manque de financement en fonds propres des entreprises innovantes (capital-risque et capital-développement technologique) en mobilisant une faible part de l’épargne des français et en améliorant les stratégies de sortie possibles pour les investisseurs sur ces segments
Recommandation 11 : lancer des initiatives sectorielles
early stage
Recommandation 12 : mettre en place les instruments d’une politique de protection (PI, normalisation) au service des entreprises innovantes
Recommandation 13 : harmoniser les différents labels et qualifications d’entreprises innovantes pour plus de lisibilité et les inscrire dans un parcours jalonné d’accompagnement vers la croissance, alignant de manière cohérente l’ensemble des outils de soutien disponibles
Recommandation 14 : inciter les grands groupes et les grands établissements publics à s’impliquer dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes, en intégrant de nouvelles dimensions dans leur
obligation de publication de RSE
IV. Mettre en place les instruments d’une politique publique de l’innovation
Recommandation 15 : reconnaître le rôle des écosystèmes d’innovation métropolitains comme points d’appui des stratégies régionales et de la stratégie nationale d’innovation
Recommandation 16 : organiser le système de transfert pour le rendre plus lisible et plus efficace
Recommandation 17 : se donner les moyens de concevoir, de piloter et d’évaluer une stratégie française de l’innovation, globale et cohérente
Recommandation 18 : mandater un opérateur unique pour la consolidation opérationnelle des politiques publiques de financement de l’innovation, la BPI (partie innovation)
Recommandation 19 : faire de l’innovation un vrai sujet politique, en organisant un vaste débat public