Je n’hésite pas, j’affirme.
« L’épopée Logan », ouvrage qui vient de paraître, est un livre exceptionnel. Il est en effet le représentant extrêmement rare d’un travail qui offre une vision pertinente et exhaustive des problématiques de l’industrie. Il le fait en décortiquant l’histoire de la Logan de Renault. Elle est abordée sous tous les angles :
la stratégie du constructeur, la technologie, l’innovation, les défis de la conception, l’industrialisation, la distribution, les marchés et, bien sûr, l’économie du projet. Rien de ce qui fait un produit industriel n’est omis.
L’histoire de la Logan et de ses avatars (Sandero, Duster, Lodgy…) – ce qui s’appelle désormais la gamme « Entry » chez Renault - est ainsi passée au scanner et le lecteur plongé au cœur d’une aventure industrielle.
Ce qui ne gâte rien, le livre parvient à traiter cette étude de cas avec la rigueur d’un ouvrage académique tout en évitant l’écueil du genre, l’ennui qui guette à chaque page. Il analyse en détail mais reste toujours concret. Surtout,
le sujet est extrêmement bien documenté. Les auteurs ont mené une enquête approfondie, rencontré et interrogé tous les acteurs clés du projet (leurs longues interviews qui émaillent les différents chapitres sont d’ailleurs l’un des points d’intérêt du livre). Les auteurs ont bénéficié en cela de l’appui de Renault qui a joué le jeu et leur a ouvert toutes grandes ses portes et ses archives.
La Logan méritait bien un tel livre. Elle est une immense innovation. Mais une innovation vraiment pas comme les autres. L’idée iconoclaste de Louis Schweitzer a été de penser une voiture simplifiée, mais robuste et moderne, pour ceux qui ne pouvaient s’offrir une voiture occidentale neuve, car trop chère. C’est la voiture
« for the rest of them » comme pourrait dire Apple. L’exemple type de la «
disruptive innovation », concept inventé par le guru de l’innovation, Clayton Christensen (ce que j’ai baptisé « innovation turbulente » dans mon livre,
« La vraie nature de l’innovation », qu’il n’est pas non plus interdit de lire…).
L’épopée Logan étudie l’histoire de cette innovation dans le détail. Mais où il devient vraiment intéressant à mon avis, est lorsqu’il étend cette étude à la façon dont la Logan d’origine s’est transformée en une gamme de modèles cohérente. Quand il raconte aussi
la façon dont l’innovation a vécu sa vie propre et a imposé des choix non prévus au départ : la création de la Sandero au Brésil, la commercialisation en France, la vente sous la marque Renault en Russie… Et quand il explique, enfin, comment Renault /Dacia a réussi, avec un très grand pragmatisme, à intégrer toutes ces bifurcations imprévues sans jamais se renier et en conquérant peu à peu une bonne partie du monde, malgré des échecs en Iran et en Inde.
Le livre se termine en posant une question de fond :
est-il possible d’imaginer une autre logique industrielle pour l’industrie automobile ? La réussite de la Logan montre que le modèle dominant du déploiement du haut de gamme, la « premiumisation », peut trouver une alternative. Mais rien ne garantit toutefois qu’elle s’impose. Après tout, curieusement, le modèle Logan, n’a pas généré beaucoup d’imitateurs.
L’un des secrets de la réussite du livre tient certainement à ce qu’il ne compte pas un mais trois auteurs de qualité. Ils se complètent fort bien, ce qui permet au livre d’être toujours pertinent quel que soit le domaine abordé. Ainsi,
Bernard Jullien est maître de conférences à l’Université de Bordeaux, spécialisé en économie industrielle.
Yannick Lung est professeur de sciences économiques à l’Université de Bordeaux . Le troisième homme,
Christophe Midler est directeur de recherche au Centre de Recherche en Gestion et professeur responsable de la chaire Management de l’Innovation à l’Ecole polytechnique.
Ah ! Une chose encore, pour l’anecdote. L’innovation semble susciter l’innovation puisque ce livre a donné naissance à ce qu’on pourrait presque appeler un
« Entry book ». Il circule en effet une autre version de « L’épopée Logan ». Elle s’appelle aussi « L’Epopée Logan » (mais sans le sous-titre « Nouvelles trajectoires pour l’innovation »), possède la même préface de Carlos Ghosn et est signée des mêmes auteurs. Mais elle compte près de deux fois moins de pages et beaucoup plus de photos. Elle offre toutefois au lecteur pressé et moins intéressé par les enseignements théoriques, la substantifique moelle de l’histoire.
Ce bel
Entry book « édition spéciale Dacia » a cependant un gros défaut. Il n’est pas en vente. Il est offert aux seuls acheteurs d’une Dacia…