mercredi 25 janvier 2012

Apple, ou pourquoi la production US est pliée


Assemblage des iPhone en Chine chez Foxconn
Super enquête à la Une de l’International Herald Tribune (IHT) du lundi 23 janvier. Et, d’une certaine façon, super douche froide pour les avocats de la réindustrialisation.  Elle dissèque le cas d’Apple. « L’iPhone est un cas d’école et Apple illustre pourquoi la Chine devient l’usine du monde » dit l’article qui  arrive à une triste conclusion : il n'y a vraiment plus aucune chance que la fabrication de produits électroniques s'effectue aux US.

Le pourquoi ne tient pas, pas directement en tout cas, aux faibles coûts de main d’œuvre car la production des iPad et autres iPhones est très automatisée. « Il en coûterait environs 65 $ de plus pour fabriquer l’iPhone aux US, ce qui serait  supportable compte tenu des marges d’Apple » souligne l’article.

Le problème est bien plus profond. Les US n’ont tout simplement plus la capacité à fabriquer de tels produits localement. L’IHT cite Tim Cook, CEO d’Apple : « Les usines asiatiques peuvent ajuster extrêmement vite leur production à la hausse ou à la baisse » et « les supply chains asiatiques ont largement dépassé en performances celles des Etats-Unis » au point que « nous ne sommes désormais plus compétitifs ».

Il faut dire que la sous-traitance généralisée des produits électroniques a donné naissance à des géants comme Foxconn Technology qui assemble quelque 40% des produits électroniques mondiaux. Le site qui assemble les iPhone en Chine, Foxconn City, « compte 230 000 employés, travaillant six jours par semaine, parfois 12 heures par jour. Plus du quart de ces employés vit dans de dortoirs aménagés sur le site et beaucoup ne gagnent pas plus de 17 $ par jour ».

Mieux, ou pire,  encore. La grande force de ces sites est la capacité à « mobiliser », au sens militaire du terme, des armées d’employés en fonction des besoins. « Ils peuvent embaucher 3000 personnes en une journée » dit l’ex responsable supply demand d’Apple, citée par l’IHT. Ils peuvent mobiliser, même en pleine nuit des milliers d’employés, comme cela s’est passé quand il a fallu répondre en extrême urgence à une modification demandée par Apple à la veille du lancement de son iPhone. De même, il n’aura fallu que quinze jour pour embaucher les 8700 ingénieurs de production nécessaires à la coordination des 200000 travailleurs produisant l’iPhone. Les analystes américains avaient prévu qu’il aurait fallu neuf mois pour le faire aux US !

Ajoutez à cette extrême flexibilité  le manque dramatique de compétences d’ingénieurs de production aux Etats-Unis et il devient clair que la production de produits électroniques aux US est définitivement pliée. Dommage pour l’emploi américain. Apple emploie 43000 personnes aux Etats-Unis alors que la production de tous ses produits occupe… plus de 700000 personnes en Asie !

Bref,  « l’expertise d’Apple est aux USA, mais les jobs [sans jeu de mots…] sont pour les chinois. » Cela dit, vu les conditions de travail on ne sait pas si on doit les envier ou les plaindre…

 Les plus optimistes pensent que, au bout du compte, cela n’est pas si grave et que la high tech américaine sera sauvée par l’innovation et, surtout,  par le logiciel. Il y a probablement du vrai dans ce point de vue et le cas d’Apple en témoigne. Mais le papier de l’IHT tempère cet optimisme. La multiplication par dix de la production d’une iPhone s’accompagne grosso modo d’une augmentation proportionnelle des emplois en usine, mais  « passer de 1 million à 30 millions d’iPhone ne change quasiment rien au nombre de développeurs d’Apple » (même si, dans le bilan, l’IHT omet d’ y ajouter les milliers de développeurs d’Apps qui ont fleuri avec cet appareil).  
Alors, grave, un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout,  cette désindustrialisation patente ? Les US peuvent-ils rebondir et prendre la Chine à contrepied ? Je dois avouer que mon opinion sur la question n’est pas tranchée, l’apôtre de l’industrialisation qui est en moi le disputant au fervent adepte des vertus de l’innovation technologique. C’est en tout cas un beau sujet de réflexion.
Vous pouvez lire, en anglais, le long article de l'IHT ici

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