jeudi 13 novembre 2014

Bienvenue au peak des inflated expectations !

Big data, machine learning, robotique... On est
aujourd'hui au sommet du pic du Gartner Group
Ah ! Je viens de lire dans Business Week un article qui me réjouit.  Il dit en substance que Watson, l’ordinateur super intelligent d’IBM,  ne donne que de très piètres résultats dans son utilisation en entreprise, notamment pour le diagnostic des cancers  au M.D. Anderson Cancer Center. Ça tombe à pic. Je m’apprêtais justement à écrire un papier sur l’hyper inflation de promesses dont on investit aujourd’hui le numérique et l'article apporte de l’eau à mon moulin. Cool.

Il ne vous a pas échappé que tout le monde, le gouvernement et son père est désormais convaincu du formidable impact que va avoir le numérique sur la société et les entreprises. Et, comme on dit, je m’en félicite. Pour faire face aux révolutions qui s’annoncent, il ne faut surtout pas sous-estimer le pouvoir de transformation des technologies telles que le Big data, le machine learning, le développement des mobiles, l’Internet des Objets etc.

Bien. Mais ce n’est pas la peine non plus d’en faire trop. Et je trouve qu’aujourd’hui on pousse vraiment le bouchon un peu loin. Ce « on » est illustré en particulier par la thèse soutenue par Erik Brynjolfsson et Andrew McAffee  (B&M) dans leur livre « Race against the machine ». Thèse qui est en train de devenir un dogme et qu’il n’est toutefois pas interdit de remettre en question.

La thèse c’est :
Primo : Les progrès de la technologie informatique qui s’annoncent vont être considérablement plus rapides que tous ceux auxquels on a assisté jusque là.
Secundo : On est ainsi à l’aube devoir des machines et des robots hyper intelligents qui vont remplacer l’homme dans des tâches intellectuelles jugées jusque-là non automatisables.
Tertio : pour un temps au moins l’impact sur l’emploi va être dramatique.

En se basant sur de telles hypothèses une étude très récente du cabinet Roland Berger ainsi qu’un travail académique de 2013 de deux chercheurs de l’Université d’Oxford arrivent à des conclusions similairement alarmantes.  Pour l’étude britannique « 47% des emplois américains connaissent un très grand risque d’être automatisés à terme. » Roland Berger indique pour sa part qu’ « en France, 42% des métiers présentent une probabilité d’automatisation forte du fait de la numérisation de l’économie. » Et ajoute que « 3 millions d’emplois pourraient être détruits par la numérisation à l’horizon de 2025. »

Eh bien je vous l’avoue, je ne suis pas convaincu par les arguments de B&M. Le grand problème de leur thèse que j’ai relue attentivement tient à ce qu’elle est fondée sur des assertions finalement peu convaincantes. Ils expliquent en effet que deux faits leur ont ouvert les yeux sur les merveilles technologiques à venir. La découverte des performances de la Google Car et de celles de Watson, l’ordinateur d’IBM. Deux « mauvais » exemples selon moi.

Ainsi, pour la Google Car B&M racontent qu’ils ont été estomaqués parce que, en 2006,  la meilleure des voitures autonomes participant à une course dans le désert était incapable de parcourir plus de 8 miles sans se trouver bloquée. Et que quatre ans plus tard 2010, miracle !, les progrès technologiques étaient tels que la Google Car avait parcouru des milliers de de kilomètres sur les routes de Californie sans accident. Mauvais exemple : traverser un désert rempli de pièges et rouler sur des routes parfaitement balisées n’a absolument rien à voir. Rien ne dit que dans les conditions de la course dans le désert, cette voiture ferait beaucoup mieux que les autres… Cela ne démontre donc pas grand chose, si ce n’est que Google sait bien communiquer et que, oui, on sait réaliser quelques belles choses avec la technologie. Mais d'ici à ce que les voitures soient 100% autonomes...

Idem pour Watson. Il a gagné au jeu Jeopardy. C’est très fort. Vive le machine learning ! IBM communique aujourd’hui comme un fou sur l’application où il diagnostique des cancers. En déduire que les ordinateurs deviennent si intelligents que les médecins seront caducs et que de très nombreuses tâches intellectuelles vont être remplacées par l’ordinateur, est pour le moins prématuré. Le papier de Business Week vient à point confirmer qu’en matière d’intelligence artificielle, il y a loin de la coupe aux lèvres.  Watson n’est pas encore Holmes…

Bref, l’exagération technologique est à son comble. Songez-y. J’étais l’autre jour à San Francisco à une manifestation organisée par Tibco. Son pdg, Vivek Ranadivé n’hésitait pas à prédire que dans 15 ans toutes les maladies auront disparu grâce au Big Data ! Nous voilà bel et bien au sommet du  « peak of inflated expectations » de la fameuse courbe du Gartner Group qui décrit le « hype cycle » des technologies.

Ne me faites pas dire que le numérique n’est pas révolutionnaire et que la "transformation numérique" n'est pas un enjeu. Je suis bel et bien convaincu que des progrès phénoménaux sont à venir et je ne doute pas non plus que des emplois soient menacés. Je ne crois simplement pas que tout se fera ni aussi vite, ni aussi largement que B&M le prédisent. Je ne crois pas non plus qu’il sera si facile de tout automatiser, même avec des machines très intelligentes Et, surtout, je suis prêt à parier que, comme souvent, les avancées les plus significatives auront probablement lieu précisément là où on ne les attend pas ! C’est le propre de l’innovation.

J’arrête là pour aujourd’hui. Je reviendrai sur le sujet rapidement pour vous dire sur quoi se fonde mon opinion. D'ici là, n'hésitez pas à me donner la votre !


A lire
L’article de Business Week : IBM's Artificial Intelligence Problem, or Why Watson Can't Get a Job 

L’étude Roland Berger Les classes moyennes face à la transformation digitale - Comment anticiper ? Comment accompagner ?

L’étude de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne  the future of employment : how susceptible are jobs to Computerisation ?

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