jeudi 20 septembre 2018

L’incroyable émergence d’un champion français de l’impression 3D !

Marianne 3D  made in France !
C’est extraordinaire ce qui se passe en France en matière d’impression 3D pour l’industrie. Il y a cinq ans, ce blog déplorait qu’après un rachat américain il ne restât plus en France qu’un tout petit fabricant de machines 3D pour pièces plastiques, Prodways.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, tout a changé. Il y a aujourd’hui un fabricant français de machine 3D pour pièces métalliques de taille mondiale et qui vise quelque 10% de ce marché. Il dispose d’une très belle palette de technologies, de services et d’alliances dans les industries aéronautiques et automobile notamment. Il s’appelle Addup.

Pour ceux qui n’ont pas suivi les épisodes il faut se rappeler :
- Qu’Addup est le nouveau nom  de Fives Michelin Additive Solutions créée en 2015 à parité par Michelin et Fives pour proposer des machines et des services pour le 3D métallique.
- Qu’au moment même où se créait cette entreprise, apparaissait un autre français sur le marché avec une très belle technologie de machines de production métalliques, Beam.
- Qu’Addup  a racheté Beam en juin dernier
- Qu’Addup vient tout juste de racheter Polyshape, une brillante entreprise de fabrication de pièces 3D métalliques, notamment pour l’automobile, dont on a abondamment parlé sur ce blog.

C’est incroyable qu’en si peu de temps – au moment précisément ou démarrent les applications dans l’automobile et l’aéronautique – l’industrie française ait réussi à se doter d’un tel « champion national » sans, autant que je sache, beaucoup d’intervention de l’Etat.

Incroyable ? Peut-être pas. Cela prouve en effet que dans des domaines où l’on possède une industrie forte – automobile au sens large, aéronautique, ingénierie -  et où l’on dispose de technologies performantes, il est possible de voir émerger des start-up qui profitent du soutien et de l’intérêt des industries établies pour croître et… finir dans le giron de grandes entreprises nationales.

C’est tout l’inverse du numérique où, faute de grands acteurs nationaux (malgré l’ex Bull et malgré tout ce qu’on demande à Orange…), la maîtrise avérée des technologies ne conduit (sauf de rares exceptions) qu’à créer des très belles start-up qui terminent plus souvent qu’à leur tour leur carrière au sein d’un géant étranger, américain en général…

Autant on peut se réjouir du parcours d’Addup, autant ce constat est accablant. Le cercle, vertueux dans un cas, est terriblement vicieux dans l’autre…

jeudi 6 septembre 2018

Production des Tesla Model 3 : l’échec était assuré...


Tesla Model 3 : trop de robots tue les robots...
En 2016, Elon Musk, patron de Tesla annonçait qu’il allait produire dès le second semestre 2017 des Model 3 à très grande cadence et devenir le meilleur constructeur automobile du monde en osant ce que ses concurrents timorés n’avaient pas mis en œuvre : une production hyper automatisée qui changerait à jamais la donne de l’industrie automobile.

Beaucoup, dont ses investisseurs, y ont cru. Pas tout le monde. Pas moi. Il suffisait pour cela de savoir ce qui a fait le succès (inattendu) de Space X, sa firme de fusées, et de connaitre un peu l’industrie automobile. Dans ce cas, l’échec, aujourd'hui avéré, du pari de Musk était évident.

Quelles sont les raisons du succès de Space X ? On l’a compris après coup : Musk s’attaquait alors à une industrie peu concurrentielle, dominée par des agences étatiques endormies sur leurs lauriers et aux process figés. Pas question pour elles de prendre le risque d’innover en réévaluant des modus operandi donnant satisfaction depuis des lustres. 

 Space X en a profité. L’entreprise a revu et modernisé de fonds en combles la conception/fabrication des fusées, réussissant à innover profondément  tout en baissant radicalement les coûts.

 Le tsunami Space X a pris l’industrie spatiale de court, à la façon dont à la fin des années 70 les constructeurs d’automobiles ont subi la déferlante japonaise. Et c’est précisément pour cela que le pari de production de Tesla ne pouvait être gagné. Secouée par le Japon, l’industrie automobile –hyper concurrentielle, elle – s’est en effet attelée depuis plus de trente ans à améliorer et à optimiser sans relâche ses processus de conception/production. Elle a tout essayé et, en particulier, au milieu des années 80, s’est adonnée à l’hyper automatisation qui s’est révélée un échec. On a alors parlé de l’erreur de l’«automatisation à outrance ». C’est dire.

Le niveau de savoir-faire en conception/production de cette industrie est devenu tel que, même avec la meilleure volonté du monde, les meilleurs ingénieurs, les technologies les plus pointues et des montagnes de dollars – les ingrédients de Musk- il était impossible de faire beaucoup mieux que l’état de l’art, qui, de plus, évolue perpétuellement

Le patron de Tesla  a alors découvert que ce n’est pas par timidité que  les constructeurs n’ont pas joué la carte de l’hyper automatisation. Ce choix est tout bonnement le fruit de leur expérience : ils savent parfaitement ce qui, à un moment donné,  est automatisable et ce qui ne l’est pas.  Mieux, ils sont capables d’adapter le niveau d’automatisation en fonction des volumes et des caractéristiques des modèles produits.

Bref, l’industrie automobile n’est pas l’industrie spatiale et ce qui a fonctionné ici ne pouvait pas faire recette là. Elon Musk l’a découvert à ses dépens et n’a d’ailleurs pas été long à reconnaître qu’automatiser et robotiser toutes les opérations était stupide et contre-productif

Cela dit, aussi cuisant soit cet échec, il faut en retenir deux choses. Primo, l’extraordinaire capacité de réaction de Musk qui, en un temps record, a construit – sous une tente !- une unité de production efficace qui lui a permis d’atteindre – certes avec beaucoup de retard – les volumes envisagés.

Secundo, en franchissant allègrement les frontières du raisonnable, Musk et ses ingénieurs auront certainement beaucoup appris en matière de  process de production. Ils auront probablement repoussé certaines limites que les constructeurs classiques, non pas timorés mais prudents,  ne peuvent découvrir. A quelque chose malheur est bon…

mardi 9 février 2016

Usine du Futur : une Bible et un Missel, pour comprendre (enfin) de quoi il s’agit

L'usine du futur est pour demain...
La Fabrique de l’Industrie honorable Think Tank auquel il m’arrive de contribuer, vient de publier une petite synthèse d’une douzaine de pages, « Industrie du futur : concepts et état des lieux. » Ce document explique de façon concise en quoi consiste le concept, où se situe la France et tire un premier bilan des actions engagées par le gouvernement sur ce thème. Utile.

Je saisis l’occasion de la sortie de cette synthèse pour rappeler à ceux qui l'ignoreraient que la Fédération des Industries Mécaniques (FIM) a sorti en novembre dernier son propre document, « Guide Pratique de l'Usine du Futur  : enjeux et panorama de solutions. »

Ce dernier est plus roboratif – il compte 61 pages – et est donc un peu plus complet. Il est tout aussi utile que le document de La Fabrique mais présente un intérêt supplémentaire. Il ne se contente pas de de présenter les concepts et l’état des lieux, il se veut « le » document de référence français en matière d’Usine du Futur, une sorte d’équivalent hexagonal à ce que la publication du document Industrie 4.0 par l’Académie des Sciences allemande représente pour l’Allemagne et qui en diffère sur plusieurs points
.

Philippe Contet, directeur innovation et technologie de la Fédération, qui a mené ce projet précise ainsi que « ce guide servira notamment de référence aux travaux de l’Alliance pour l’industrie du futur » qui compte comme membres, outre la FIM, le Cetim, le Gimélec, le Symop, l’Afdel, Syntec Numérique, l’UIMM, le CEA, l’Ensam et l’Institut Mines-Télécom.

A noter également que ce document a vocation à « évoluer en permanence notamment afin de proposer des versions prenant en compte les spécificités des différentes filières industrielles. » 

Munis de cette Bible et du Missel, la version light de La Fabrique, vous voici en tout cas bien équipés pour affermir votre foi dans ce concept sur lequel la réindustrialisation et la compétitivité  se fondent pour créer un monde meilleur…

Télécharger
Le Guide de La Fabrique

Quelle est la contribution de la France à l’innovation mondiale ? (Indication : elle n’est pas si mauvaise...)

Onzième... De quoi pavoiser ?
Le think tank américain ITIF s’est posé une question originale : Quels sont les pays dont les politiques économiques et commerciales favorisent le plus l’innovation mondiale ? En est issu un long document - plus de 100 pages - qui analyse en détail en quoi chaque pays contribue à l’innovation mondiale ou bien la freine.

Résultat : la France se situe au onzième rang, juste derrière les Etats-Unis (10è) et juste devant l’Allemagne (12é) et le Japon (14è). Les neuf premiers, dans l’ordre sont : Finlande, Suède, Royaume-Uni, Singapour, Pays-Bas, Danemark, Belgique, Irlande et Autriche. La Chine est 44è.

L’étude a analysé 56 pays. Elle fonde son classement sur 27 indicateurs. Quatorze  favorisent l’innovation. Ils sont groupés en trois catégories : les montants d’imposition, l’éducation,  la R&D et la technologie. Treize l’inhibent. Ils ont également regroupé selon trois catégories : protection de la propriété intellectuelle, balkanisation des marchés, balkanisation de la production.

Quelle est la morale de cette étude ? L’ITIF conclue que « pour maximiser l’innovation mondiale il est nécessaire de développer les mécanismes propres favoriser les contributions positives des pays et à supprimer les freins », ce qui tient un peu de la Lapalissade... Les auteurs ajoutent toutefois une considération plus intéressante notant que « le plus crucial pour aller dans cette direction tient à prise de conscience par le responsables politiques et les économistes que désormais l’innovation revêt la même importance que le commerce pour l’amélioration de la croissance économique. »  

On notera enfin une intéressante catégorisation des industries innovantes. Selon les auteurs, elles ont quatre caractéristiques en commun :
- L’innovation est cruciale pour leur compétitivité
- Leurs coûts marginaux sont significativement inférieurs à leurs coûts moyens, autrement dit elles affichent des rendements d’échelle croissants.
- Elles dépendent davantage que les autres de la propriété intellectuelle
- Elles dépendent plus que les autres du libre mouvement de la connaissance, de l’information et des données

On peut télécharger l'étude complète en cliquant juste là 

mercredi 3 février 2016

Histoire de boulon : il aura fallu près de mille ans avant de penser cette solution évidente !

Eh oui! Il suffisait d'y penser
Depuis près d’un millénaire qu’il existe, c’est toujours la même histoire : les écrous vissés sur des boulons ont une fâcheuse tendance à se desserrer, lorsqu’ils sont soumis à des vibrations par exemple.

Pour "freiner"ce fichu écrou, depuis des siècles, les ingénieurs ont consacré leur énergie à mettre au point  des solutions diverses et variées, du genre contre écrou, rondelle bloquante, collage...  Bien. Mais jamais parfait.

Et voici qu’après des siècles d’innovation dans le boulon, le Cetim (Centre Technique des Industries Mécaniques) a trouvé une sorte de Graal : l’écrou indévissable ! C’est génial. C’est tout bête.

Pour éviter les dévissages intempestifs il suffit d’utiliser un contre écrou. Mais pas comme on le fait habituellement. Ce contre écrou est monté sur un filetage... de sens inverse de celui du premier. Ainsi, quand le premier écrou montre des velléités de dévissage, il vient se heurter au second, ce qui a pour effet de provoquer le serrage de ce dernier et le blocage du tout !

Résultat : un dispositif d’une simplicité extrême mais qui est anti-dévissage par construction. 

Pour monter à la suite du premier le second écrou au filetage inversé, l’astuce consiste tout simplement à réduire le diamètre de l’extrémité de la vis : le premier écrou au diamètre plus important passe sans problème, le second se visse sur le filetage à pas inversé.

Mis au point par le Cetim, l’écrou miracle est fabriqué par la société André Laurent, spécialiste du vissage. C’est une véritable innovation, de celles qui, après coup, paraissent si évidentes que l’on s’écrie comme un seul homme : « Bon sang, mais c’est bien sûr comment personne n’y avait jamais pensé… !? » 

PS : Dans la série « Bon sang mais c’est bien sûr ! » de la mécanique on peut lire l’histoire tout aussi édifiante d’une rondelle miracle à la conception de laquelle l’inévitable Cetim avait participé.

PS2 : Après avoir écrit ce papier j’ai soudain pensé : « oui, c’est bien beau tout cela ; le premier écrou est bloqué, soit. Mais qu’est ce qui empêche le second écrou de se dévisser et par suite le premier ? » C’est sans fin comme l’histoire de Ségolène Royal qui voulait qu’un policier raccompagne chez lui un autre policier. Qui raccompagnera le second ?
Renseignement pris, et c’est là qu’on voit tout la complexité de la mécanique, voici le fin mot de l’histoire. Pour éviter que le second écrou ne se dévisse, on utilise les moyens classiques de blocage. On peut lui mettre un point de soudure par exemple. Quel est l’intérêt du dispositif dès lors ?  Il faut savoir que les  freinages classiques dégradent la qualité du serrage. Voici donc l’atout essentiel : pour le premier écrou, ce système assure que le serrage est optimal. C’est le second qui subit, lui,  une dégradation, ce qui n’est pas important puisque les caractéristiques exactes du serrage ne dépendent pas de lui. Tout cela vaut, bien sûr pour des assemblages ultra-sensibles où il n’est pas question de dévier d’un iota des conditions nominales.

jeudi 28 janvier 2016

Fabrication additive : l’étonnante résurrection française

La machine du français Beam. Pas pour bricoler
dans son garage...
C’était plutôt désespérant. A la fin de l’année 2013, l’américain 3D Systems rachetait le fabricant français de machine de fabrication additive de pièces en métal, Phenix Systems. Un sale coup. Il ne restait plus qu’un seul français dans la course de l’impression 3D industrielle, le tout petit Prodways, spécialisé lui dans la production de pièces en plastique.

Deux ans plus tard, tout a changé et pour le mieux. Il y désormais pas moins de trois fabricants français de machines pour les pièces en métal et un pour le plastique. Une véritable résurrection ! Elle est la bienvenue car le marché est désormais fortement tiré par l’industrie aéronautique qui s’est entichée des imprimantes 3D pour la production de pièces en métal. Il était temps…

Qui sont ces fabricants français ?

Il y a toujours Prodways, passée en 2013 dans le giron du groupe Gorgé. L’entreprise croît à une vitesse phénoménale et s’est déjà implantée aux Etats-Unis. « Nous n’avions qu’un employé lors du rachat de Prodways, nous sommes aujourd’hui près de 200 », dit le Pdg du groupe, Raphaël Gorgé. Outre ses imprimantes pour le plastique, Prodways s’est équipée d’une dizaine de machines du commerce pour produire des pièces en métal pour l’aéronautique et le spatial. Surtout, elle vient d’annoncer qu’elle allait sortir sa propre machine pour le métal en 2016. Pour ce faire, Prodways est alliée à une entreprise chinoise qui produit les moteurs de ses machines.

Il y a ensuite Beam, spin off du Critt Irepa Laser qui a exploité une technologie développée de longue date au sein de cet institut.  Beam, créée début 2013, utilise le procédé  de Construction Laser Additive Directe (CLAD) qui consiste à injecter des poudres métalliques par une buse et les fondre par laser. Il s’est allié à Fives pour la construction des machines. Grand atout de sa technologie, elle permet non seulement de fabriquer des pièces nouvelles mais également d’en réparer. Et c’est ce créneau de la réparation dans le domaine aéronautique sur lequel elle s’est positionnée pour démarrer. Safran lui a déjà acheté une machine.

Le dernier venu est le plus étonnant : il s’agit de… Michelin !  Il a annoncé en septembre dernier une filiale commune 50-50 avec l’inévitable Fives,  Fives Michelin Additive Solutions, pour proposer des machines 3D pour des pièces métalliques et toute une gamme de services. Que vient faire le fabricant de pneus en caoutchouc dans cette galère ? Il travaille depuis quelque sept ans sur ce sujet. Son but : réaliser les milliers de petites lamelles en acier utilisés dans les moules de production des pneus pour dessiner les sculptures. Grâce à l’impression 3D Michelin peut réaliser des pièces de formes originales, complexes et impossibles à produire autrement. Il entend valoriser son savoir-faire de production – il a déjà produit des centaines de milliers de telles lamelles – dans une gamme de machine qui est en cours de réalisation.

Voilà donc de bonnes nouvelles, d’autant qu’elles s’accompagnent de nombreuses initiatives qui, au-delà des seules machines, démontrent que c’est tout un écosystème industriel qui se met en place en France autour de la fabrication additive.

Ainsi, Prodways a connu une frénésie d’acquisitions en 2015. Elle a racheté Initial, société de service dans la fabrication additive puis Norge Systems, start-up anglaise dont les fondateurs ont développé une gamme de machines de fabrication additive utilisant le frittage laser de poudres plastiques et enfin Exceltec, société spécialisée dans le développement et la distribution de matières polymères pour l’impression. Elle vient également de s’allier  avec le groupe Nexteam, un spécialiste de de l’usinage de pièces complexes et des métaux durs pour l’aéronautique et le spatial. Explication : les pièces conçues par impression 3D nécessitent le plus souvent des opérations d’usinage classique en aval.

Côté alliances, on retiendra également la création en décembre dernier, d’une entreprise commune entre Poly-Shape, spécialiste de la production par fabrication additive, et l’équipementier Lisi. Cette joint venture, Lisi Aerospace Additive Manufacturing  est détenue à  60% par Lisi et 40% par Poly-Shape. Elle est vouée à la réalisation de pièces mécaniques aéronautiques et spatiales. « Notre objectif est de porter ce procédé à une échelle industrielle compatible avec les exigences techniques et économiques des grands donneurs d’ordres » dit Lisi. Quant à Stéphane Abed, patron et fondateur de Poly-Shape, il explique que la demande de l’industrie aéronautique est aujourd’hui telle que son entreprise n’est plus en mesure de la satisfaire à elle seule.

Cette embellie durera-t-elle ?  On peut s’interroger sur la réaction des puissants fabricants de machines d’usinage. Ils sont déjà une quinzaine à offrir des machines dites hybrides qui mêlent de l’usinage traditionnel, comme le fraisage, à l’impression 3D et pourraient s’avérer menaçants pour ces nouveaux venus (lire à ce propos l’excellent et exhaustif article  de Mirel Scherer sur le blog Fabrication Mécanique).



jeudi 15 octobre 2015

Pourquoi il faut (absolument) lire le livre de J-B Rudelle

Le titre du livre  – On m’avait dit que c’était impossible – ne reflète que médiocrement son contenu car nulle part l’auteur ne n’évoque ce problème. Le sous-titre  - Le Manifeste du fondateur de Criteo – est un peu tapageur. Ce n’est pas un brûlot ! L’accroche – Une fois n’est pas coutume, un dirigeant iconoclaste décide de faire voler en éclat les clichés – cumule les défauts : elle ne reflète pas le contenu, est bien trop tapageuse et pour le coup hors de propos : le dirigeant en question n’est pas iconoclaste et ne fait pas vraiment voler en éclat beaucoup de clichés.

Cela dit, le livre de Jean-Baptiste Rudelle (JBR), est formidable et formidablement intéressant. Il faut le lire de toute urgence.

Qui doit le lire ? Tout le monde. L’étudiant. L’entrepreneur qui veut se lancer dans l’aventure start-up. L’homme politique, et plus largement tout décideur qui se demande ce qu’il faut faire pour que la France tienne son rang à l’ère numérique. Les chefs, sous chefs, hommes du rang de l’entreprise ainsi que les simples honnêtes hommes qui veulent comprendre ce qu’est une start-up, comment ça marche, comment ça réussit, qu’est-ce que sont ces étranges entreprises du « numérique » et pourquoi ça fonctionne si bien dans la Silicon Valley. Vous comprendrez tout cela, et bien plus encore, en lisant de livre de Jean-Baptiste Rudelle.

Mieux, non content d’apprendre énormément, vous passerez un bon moment. On m’avait dit…, une fois commencé, ne se lâche plus. Le livre est bien écrit ; bien construit. Il raconte à la première personne les aventures du fondateur de Criteo, depuis la création de sa première start-up jusqu’au succès de Criteo. JBR raconte. Il se raconte. Il nous parle de lui parce que la création d’une start-up est une aventure personnelle et que l’on ne comprend l’une qu’à la lumière de l’autre. Surtout, il analyse méticuleusement pour chaque étape de son parcours ce qui a bien fonctionné, ce qui moins bien marché, ce qui a échoué et pour quelles raisons.  Il nous entraîne dans les coulisses, celles du capital risque notamment, et ne nous cache rien (autant qu’on puisse en juger…). Il insiste notamment sur ses erreurs, ce qui constitue d’ailleurs l’un des plus précieux enseignements du livre.

 Au final, en relatant son expérience par le menu et avec une grande sincérité, Jean-Baptiste Rudelle nous en apprend beaucoup plus sur ce qui fait la réussite d’une start-up que bien des essais et bien des traités de gourou patentés du management.

Iconoclaste ce livre ? Allons bon. La seule chose qui justifie peut être cet épithète est le chapitre ou l’auteur milite pour que les riches – lui compris - paient davantage d’impôts afin de réduire les inégalités. C’est Pikettien en diable – il fait d’ailleurs explicitement référence à Thomas Piketty.

C’est beau, c’est noble et pas nécessairement stupide mais ce n’est pas, à mon avis le meilleur du livre. C’est en effet la seule fois JBR se laisse aller à nous donner son avis sur un sujet qui n’est pas au cœur de son expérience. Il est bien plus intéressant quand il explique pourquoi distribuer des stocks options à tous les employés de l’entreprise, quand il décrit les forces et faiblesses respectives de la France et de la Silicon Valley (où il réside désormais) ou bien quand il explique comment constituer une équipe.

Dernier et important apport de ce livre. Il met, indirectement, en lumière un phénomène extrêmement positif et réjouissant : l’existence d’une « mafia » française du numérique. A bien des moments clés de l’existence de Criteo, Jean-Baptiste Rudelle a trouvé en France, parmi ses relations dans le monde numérique, celui ou celle qui a su lui ouvrir des portes ou lui fournir un conseil décisif. De tels réseaux informels se sont créés de longue date entre start-uppers, financiers et technologues dans la Silicon Valley et sont la véritable clé de sa réussite.

Ces réseaux sont désormais présents en France et chaque nouvelle réussite les renforce. Criteo y participe d’ailleurs activement, s’étant fait un devoir de rendre à la communauté ce qu’il en avait reçu.

Le livre s’achève sur cette phrase : « Et, qui sait, un jour nous aurons, nous aussi, notre Google français ? » Cela ne paraît plus hors de propos et, si c’est le cas, le livre de Jean-Baptiste Rudelle n’y sera pas pour rien. A condition que vous le lisiez…


vendredi 18 septembre 2015

Allègement des charges sociales : Louis Gallois, le retour !

Louis Gallois ne lâche pas prise sur l’allègement des charges sociales Dans son fameux rapport, il préconisait un allègement de charges significatif sur les salaires intermédiaires pour relancer la compétitivité de l’industrie française. Il (on) a eu le CICE, crédit d’impôt compétitivité emploi.

 Louis Gallois n’est plus Commissaire à l’investissement (il est aujourd’hui  président du conseil de surveillance de PSA) mais il reste le président du Think Tank La Fabrique de l’Industrie et comme tel il n’en démord pas : il faut baisser les charges, réaffirme-t-il et, mieux, il enfonce le clou en insistant sur le fait qu’il faut progressivement arrêter de financer la protection sociale par les salaires.

Cela se passait lors du débat organisé par La Fabrique de l’Industrie et Coe-Rexecode le 17 septembre, débat auquel participait Louis Gallois aux côtés de quelques économistes distingués (voir en fin d'articles).

Thème du débat : « CICE, Pacte de responsabilité… : Quels sont les effets des allègements du coût du travail sir la compétitivité de l’emploi ? »

Prétexte de la conférence : le livre « Allègement du coût du travail – Pour une voie favorable à la compétitivité française », réalisé par Gilles Koléda à la demande de La Fabrique.

Ce livre, avec force études et simulations à l’appui affirme que le plus efficace en terme de compétitivité – je fais court - est l’allègement des charges sur les salaires intermédiaires (entre 1,6 et 3,5 fois le SMIC) et non, sur les bas salaires, niveau SMIC ou légèrement au-dessus,  comme le voulait jusque-là la pensée (et la pratique) dominante. Ce qui tombe bien puisque c’est justement la thèse de Louis Gallois : « Je pense que la compétitivité est mieux ciblée en faisant profiter les salaires intermédiaires de l’allègement des charges » répétait-il hier.

On pouvait en tout cas apprendre ou se voir confirmer plusieurs points forts intéressants lors du débat.

1. Le CICE n' est qu' un pis-aller. Je n’osais par l’affirmer mais je le pressentais. Le CICE est loin d’être un dispositif très efficace. Sa mise en œuvre est complexe et il a fallu plus d’un an aux entreprises pour se l’approprier. En fait, plusieurs intervenants l’ont confirmé : la seule motivation de ce dispositif type usine à gaz était de ne pas charger outrageusement le budget 2013. Point. La politique a ses raisons que la raison ignore…

2. L’allègement des charges revient au galop. La première phase du CICE s’achève 2016. Et si l’on en croit l’ambiance générale à la conférence, ce qui se profile pour  2017 que ce dispositif ne soit pas reconduit et qu’on en revienne purement et simplement (pas si simplement d’ailleurs…) à la baisse des charges initialement préconisée. D’où le forcing du camp des partisans de l’allègement  sur les salaires intermédiaires pour faire partager leur vision.

3. Il y a une logique de long terme avec l’allègement des charges. Louis Gallois a ainsi clairement laissé entendre que, pour lui, la question de savoir s’il fallait baisser les charges ne se posait pas, « Ce qui compte est de trouver le moyen le plus efficace. » Clairement,  il pense la notion de protection sociale financée par les salariés n’est plus d’actualité. Elle doit être financée par tous (via la TVA ou la CSG).
 Il y a une vraie logique de long terme derrière ce point de vue. L’abondance du travail salarié qui justifiait hier qu’il soit taxé, n’est plus là et risque de l’être toujours moins avec ce que promet la numérisation généralisée, les usines hyper automatisées et les nouvelles formes de travail à venir. Autrement dit, il est temps de trouver d’autres vaches à lait pour financer la protection sociale, le filon du salariat étant désormais presque épuisé


*Les intervenants à la conférence
Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Statégie
Eric Heyer, directeur de département analyse et prévision de l’OFCE
Gilles Koléda, ex directeur des études de Coe-Rexecode
Jean-François Ouvrard, directeur des études de Coe-Rexecode